Pour les avocats des responsables présumés de la mort de Thomas Sankara, l’investiture du lieutenant-colonel à la présidence du pays démontre qu’un putsch ne constitue plus une infraction. Le procès est suspendu.
Aussi indolore semble-t-il devenu, le putsch militaire – sport politique national du Burkina Faso – est-il condamné à scander toujours la vie des Burkinabè sans que la justice ne fasse exception ? L’historique et médiatique procès de l’assassinat de Thomas Sankara – président arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État et renversé par un coup d’État – pourrait emprunter une déviation elle-même liée à… un coup d’État.
Aujourd’hui au banc des accusés, les putschistes compaoristes du 15 octobre 1987 (Gilbert Diendéré, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando) paraissent proche d’être sauvés par ceux-là même qui enfoncèrent censément le dernier clou du cercueil de l’ère Compaoré en renversant l’ancien compaoriste Roch Marc Christian Kaboré.
Un coup d’État légalisé
Les avocats des trois accusés, contre lesquels sont requis plusieurs dizaines d’années de prison, ont obtenu le 3 mars la suspension du procès qui venait juste de reprendre. Leur argumentation est limpide : en validant cette semaine l’investiture du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba à la présidence du pays, le Conseil constitutionnel a légalisé le coup de force du 23 janvier. Dès lors, tout putsch cesserait d’être une infraction au Burkina Faso, celui de Compaoré comme celui de Damiba. « Si l’attentat à la sûreté de l’État est devenu légal, je ne vois pas pourquoi nos clients sont poursuivis », conclut Me Olivier Somé.
Peut-on juger un coup d’État sous un régime issu d’un coup d’État ? L’exception d’inconstitutionnalité est-elle justifiée ? Sans doute gêné aux entournures, le Conseil constitutionnel dispose d’un délai d’un mois pour répondre à cette requête de la défense. Qui se contorsionne se contorsionnera…
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« Catastrophe constitutionnelle »
Déjà en deuil de leur président Kassoum Kambou, décédé le 19 février, les sages vont devoir mettre en perspective leur habillage légal de la prise du pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde de la restauration (MPSR) et la plaie béante de l’assassinat de l’icône « Thom Sank ». Noieront-ils le poisson de la requête dans les eaux du jargon judiciaire, eux qui savent à quel point la popularité de l’évènement de 2022 est inversement proportionnelle à celle du drame de 1987 ? Paraphraseront-ils la célèbre publicité burkinabè « Tôle, c’est pas tôle » en concluant « Putsch, c’est pas putsch » ?
Si le constitutionnaliste Abdoulaye Soma a qualifié la bienveillance du Conseil à l’égard du lieutenant-colonel Damiba de « catastrophe constitutionnelle », certains considèrent, selon le proverbe, que « lorsque le canari se casse sur sa tête, il faut en profiter pour se laver ». Dans une tribune parue 7 février dernier, le philosophe Kwesi Debrsèoyir Christophe Dabiré suggérait rien de moins que la légalisation des coups d’État en Afrique. À effet rétroactif ?
Source: JA