
Procès de l’Avion Présidentiel :Oumar Tatam Ly, un témoignage équilibré devant une Cour déterminée à faire la lumière
Le vendredi 20 juin 2025, après plusieurs mois de suspension, le procès très attendu relatif à l’acquisition de l’avion présidentiel et des équipements militaires a connu un tournant décisif avec la comparution, par visioconférence, de l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly, un autre témoin clé dans cette affaire aux implications financières lourdes pour l’État malien.
Sa déposition, qui a duré près de cinq heures, s’est déroulée dans une ambiance calme et rigoureuse, sous la présidence du magistrat Bamassa Sissoko, un juge respecté, assisté de ses conseillers meticuleux dans leurs questions parfois pièges, d’un ministère public minutieux et incisif dans son questionnement, soucieux de cerner la chaîne des responsabilités et d’un contentieux toujours présent pour la cause de l’intérêt de l’état.
Une comparution juridique majeure dans le déroulé du procès
La comparution de Tatam Ly, reportée depuis six mois, marque une avancée significative dans la recherche de la vérité, après les auditions de Moussa Mara et Madani Touré. En sa qualité d’ancien chef du gouvernement à l’époque des faits (septembre 2013 – avril 2014), son témoignage était attendu pour lever certaines zones d’ombre sur les processus décisionnels ayant conduit à l’acquisition de l’avion dit de commandement.
Dès l’entame de son audition à 09h57 , il prête serment solennellement et s’engage à « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ».
Acquisition de l’avion grâce un processus initié depuis le sommet de l’État
À la question du Président de la Cour de dire ce qu’il savait de l’achat de l’avion présidentiel, Oumar Tatam Ly a livré une narration chronologique claire à savoir que l’initiative vient directement du Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qui l’aurait saisi en marge d’un voyage à New York. Il affirme que le président l’avait orienté vers Marc Gaffajoli, Directeur général d’Afrijet, pour réfléchir à une solution.
Après analyse, Tatam Ly avait recommandé la location d’un aéronef, une option selon lui plus appropriée dans le contexte budgétaire et diplomatique du moment. Il a précisé qu’il n’a jamais signé de contrat et que cette responsabilité incombait à la Présidence. Il soutient avoir été désavoué après que le chef de l’État eut décidé, en Conseil des ministres, de procéder à un achat ferme de l’avion. Dès lors, il s’est « mis en retrait du processus opérationnel ».
Équipements militaires avec un Premier ministre tenu à l’écart?
Concernant l’achat des équipements militaires, l’ancien Premier ministre affirme n’avoir jamais été associé à cette opération, révélant qu’il en a eu connaissance par voie de presse. Il indique avoir protesté auprès du président de la République, ajoutant que cette exclusion, couplée à une absence d’harmonie dans l’action gouvernementale, a motivé sa démission en avril 2014.
Lors des échanges avec les membres de la Cour, il insiste sur un point fondamental à savoir que les contrats liés aux marchés de plus de 80 milliards FCFA relevant des intérêts essentiels de l’État auraient dû être délibérés en Conseil des ministres, même s’ils sont classés secret-défense.
Courriers électroniques, responsabilités et dysfonctionnements
Face aux questions sur des emails échangés dans le cadre des dossiers incriminés, il précise qu’il ne les a pas reçus via voie officielle et que sa boîte email personnelle n’était pas régulièrement consultée.
Il a également été interrogé sur une correspondance en date du 17 octobre 2013 dans laquelle il avait évoqué l’application de la « bonne règle » dans le cadre de groupements de commandes de matériels roulants. Il clarifie que cette expression ne signifiait pas une validation définitive, mais plutôt une exigence de respect strict des procédures légales.
Tensions gouvernementales , et divergences sans rancune?
Interrogé sur les rapports difficiles avec Bouaré Fily Sissoko et Soumeylou Boubèye Maïga, Tatam Ly concède avoir demandé à deux reprises leur éviction lors d’un remaniement envisagé, sans succès. Il nie cependant toute tentative d’espionnage contre ses anciens collaborateurs. “Ce n’est pas dans ma nature”, tranche-t-il.
Un positionnement clair sur les garanties financières
La Cour l’interroge sur la garantie étatique de 100 milliards FCFA consentie dans le cadre de l’achat. Tatam Ly répond sans détour : »De mon point de vue, l’État ne doit pas garantir un fournisseur. Cela ne devrait pas se faire. »
Il précise aussi que le secret-défense ne saurait être opposable au Premier ministre et considère anormale l’exclusion du chef du gouvernement dans de tels marchés.
Le témoignage de Tatam Ly pourrait être juridiquement qualifié comme déposition clé à décharge et clarification des faits, utile à l’établissement de la traçabilité administrative et de la chaîne de responsabilités. Il a démontré une posture de responsabilité politique tout en insistant sur la rupture de confiance et de méthode qui a marqué son départ du gouvernement. Sa comparution a également permis de replacer le processus d’acquisition de l’avion et des équipements dans leur contexte décisionnel, révélant des défauts de transparence, de concertation, et probablement des violations des règles de passation de marchés publics.
En résumé, cette audition marquante renforce la crédibilité du procès engagé par les autorités judiciaires maliennes pour établir les responsabilités dans un dossier aux lourdes conséquences pour les finances publiques. Le calme, la rigueur et la clarté d’Oumar Tatam Ly ont contribué à lever certaines ambiguïtés, tout en mettant en lumière des failles systémiques dans la gestion des grands marchés publics.
La suite du procès s’annonce capitale, notamment avec les auditions croisées attendues, dans l’espoir d’une justice complète et équitable, à la hauteur des attentes de l’opinion publique.
Info360.info
Mamadou Camara