Plusieurs fois, j’ai répété dans ces colonnes que l’humanité a évolué sur la base de traditions : la tradition orale, la tradition écrite et aujourd’hui nous sommes en train d’entamer la tradition numérique. Ces traditions sont les transmetteurs de savoirs, de compétences, de valeurs… Or les organisations humaines ont été, pour la plupart, basées sur la codification de la solidarité, de la transmission des savoirs, de l’organisation de la production, du partage des fruits de la production.
Dans la tradition orale, ces organisations ont été normées dans le cadre de communautés ou ethnies. Dans la tradition écrite, elles ont été normées dans le cadre des États et d’organisations d’États. Dans la tradition numérique, elles sont en voie de normalisation ; une communauté mondiale numérique est en construction.
Les sociétés traditionnelles, desquelles nous nous revendiquons généralement, ont été normées par la tradition orale. La parole y était le principal instrument de travail. C’est pourquoi elle y était sacrée. Pendant ce temps, une parole donnée pouvait engager plusieurs générations. La parole était aussi le principal outil de transmission des savoirs. C’est pourquoi l’âge y était sacré. Pas pour l’âge lui-même, mais du fait que plus une personne est exposée aux paroles plus il acquiert de la compétence. Donc en fait, c’était le savoir qui était sacré. L’âge en ce moment était ce qu’est un diplôme aujourd’hui.
Dans ces sociétés, sur le territoire du Mali actuel, les rapports entre les hommes étaient organisés dans le cadre de communautés ethniques , qui en étaient en réalité des communautés professionnelles, plutôt que des ethnies. Si je me disais Peulh, vous saviez directement que ma fonction était l’élevage. Si je me disais Bamanan, vous saviez directement que ma fonction était l’agriculture. Si je me disais Bozo, vous saviez que ma fonction était la pêche. Si je me disais Soninké, vous saviez que ma fonction première était le commerce. Si je me disais Noumou, vous saviez que ma fonction première était la forge. C’est pourquoi, par exemple dans beaucoup de nos communautés traditionnelles, les salutations commençaient toujours par « I ni tié » (à toi le travail ! à toi la mission ! ).
Dans chacune de ces communautés, la transmission des savoirs était organisée par la parole, du plus âgé au moins âgé, des pères aux fils, des mères aux filles. Et chaque communauté avait ses codes de transmission. C’est ainsi qu’à ta naissance, tu n’avais pas le choix, tu étais prédestiné. Si tu naissais dans une famille peulh, tu devenais éleveur et recevais les instructions et les valeurs de cette fonction. C’était le cas pour le Bamanan, le Bozo, le Noumou, le Soninké, le Dieli…
Dans la transmission des savoirs, l’enfant d’un peulh et d’une noumou (vice-versa) allait difficilement bénéficier des connaissances de base pour prétendre aux autres étapes de savoirs d’une communauté. Une femme peule pouvait difficilement transmettre les connaissances de base de la forge à son enfant de père et de la communauté noumou pour lui permettre de prétendre aux autres compétences de la forge. Une femme noumou pouvait difficilement transmettre les connaissances de base de l’élevage à son enfant de père et de la communauté peulh pour lui permettre de prétendre aux compétences de l’élevage.
Pour éviter la rupture dans la chaîne de transmission des savoirs et des compétences, nos anciens ont développé une certaine forme d’intelligence sociale. Notamment celle concernant les réserves sur le mariage entre Peulh et Noumou.
Source: Aliou Ifra N’Diaye / MALI24