Faire de la Russie «un paria économique et financier mondial», selon les mots d’un haut responsable américain. Et plus concrètement «paralyser» les actifs de la Banque centrale russe et exclure «un certain nombre de banques russes» du système Swift, canal incontournable pour les transactions financières internationales, comme l’a proposé samedi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La dernière salve de sanctions décidée samedi soir par l’UE devrait perturber fortement le fonctionnement de l’économie russe. C’est le but. L’exclusion de bon nombre de banques russes du système Swift est sans doute la mesure qui fait le plus mal. En clair dès lors qu’une banque est «dé-swiftée», elle ne peut plus payer ou recevoir des fonds d’un autre Etat pour le compte de ses clients. Gênant lorsqu’on veut faire du commerce international.
Mais pour l’heure, le nom et le nombre des banques concernées ne sont pas encore connus. Il est donc probable que quelques banques choisies conservent leur accès à Swift, ne serait-ce que pour permettre le négoce de gaz avec des Etats qui en sont dépendants, comme l’Allemagne ou l’Italie. Il sera notamment intéressant de voir si Gazprombank, la filiale bancaire du géant russe de l’énergie, est «dé-swiftée». Même questionnement pour les deux premiers établissements financiers du pays : VTB et Sberbank, dont les avoirs sont déjà gelés aux Etats-Unis.
Néanmoins, cette mesure ne sera pas sans conséquences, selon l’analyse d’Olivier Dorgans. Depuis quinze ans, cet avocat du cabinet Ashurst travaille sur les conséquences des sanctions économiques pour les entreprises : «Les banques qui ne seront pas exclues de Swift ne pourront de toute manière pas supporter les transactions des autres banques qui, elles, n’ont plus accès à ce système.» Cette mesure n’est d’ailleurs pas une première. Entre 2012 et 2016, l’Iran a été exclue de Swift. La Russie, qui visiblement a anticipé cette sanction, a de son côté développé un outil alternatif de transaction international dénommé SPFS. Seul hic, pour Moscou, il est limité aux échanges avec la Chine et quelques ex-républiques soviétiques. Mais le contournement de l’embargo iranien a montré qu’il y a toujours un système D. Lionel (1), un trader en gaz et en pétrole rompu à ces marchés, évoque des méthodes plus anciennes qui n’ont jamais vraiment cessé d’exister : «Il sera toujours possible de faire de la compensation. Telle ou telle matière première énergétique ou agricole sera échangée contre d’autres produits pour un montant équivalent.»
Gel pénalisant
L’autre sanction significative proposée par l’Union européenne est donc le gel des avoirs de la Banque centrale russe, dont le montant total est estimé à plus de 600 milliards d’euros. Interrogé par Libération dimanche, le PDG d’une grande banque française restait assez dubitatif : «On peut imaginer que le pouvoir à Moscou a investi dans de la monnaie virtuelle ou a carrément fait le plein de billets de 20 dollars. Il aurait peut-être été plus dissuasif d’interdire l’utilisation du rouble dans les transactions internationales, ce qui empêcherait de fait la Banque centrale russe d’acheter du dollar, du yen ou de l’euro.» Reste que ce gel devrait s’avérer pénalisant. D’abord en bloquant les fonds qui ont pu être déposés hors des frontières russes, ensuite en limitant les mouvements de la Banque centrale qui ne pourra plus utiliser ses milliards pour des opérations avec les Etats-Unis ou l’Europe. «Imaginons qu’un client européen ait un défaut de paiement avec une société russe, la Banque centrale ne pourra se porter au secours de l’entreprise en prenant en charge l’impayé», détaille Olivier Dorgans.
Il n’y a d’ailleurs pas que la mobilité des capitaux qui va être sérieusement freinée. Celle des personnes aussi avec la fermeture totale de l’espace aérien européen aux compagnies et aux avions privés russes. Selon le ministère des Transports, les appareils russes stationnés en France ne pourront pas redécoller. De quoi bouleverser potentiellement les plans (de vol et autres) des oligarques qui auraient été tentés de séjourner dans l’Hexagone.