La multiplicité des actes de propriété ou de jouissance, le non-respect par les acteurs de leurs domaines de compétence, l’occupation anarchique du domaine public, l’insuffisance et/ou l’inadaptation des modes de publicité lors de la procédure d’immatriculation des parcelles de terrain, la lenteur dans le traitement des dossiers fonciers et les difficultés d’application de certaines décisions de justice, etc., sont autant de maux qui caractérisent la gestion domaniale et foncière au Mali. Pour y remédier, le département en charge des domaines et du foncier a procédé à la relecture du Code domanial et foncier en vigueur depuis 2000 permettant l’adoption d’une ordonnance portant “Loi domaniale et foncière” par le gouvernement, ratifiée par le Conseil national de transition lors de la séance plénière du 30 septembre 2021 et promulguée par le président de la Transition le 7 octobre 2021. Cette nouvelle loi apporte des innovations majeures à la loi domaniale et foncière de notre pays. Ainsi, l’ordonnance n°2020-014/PT-RM du 24 décembre 2020 et ses textes d’application, qui participent de la mise en œuvre des recommandations des “Etats généraux du foncier”, ont été adoptés dans le cadre de la Réforme domaniale et foncière engagée par le gouvernement et dont l’objectif principal est de refonder les rapports sociaux en vue d’asseoir la paix et la stabilité sociales, de mettre la terre au service du développement, d’appuyer la bonne gouvernance de l’Etat et de lutter contre l’accaparement des terres. La vulgarisation de la nouvelle loi domaniale et foncière sous le leadership du Directeur national des Domaines Abdoulaye Dicko s’inscrit dans ce cadre.
La loi adoptée apporte des innovations majeures qui permettront de combler les attentes en corrigeant les insuffisances constatées dans l’ancienne loi. Exemple type : la nouvelle loi réduit le nombre des actes de propriété et/ou jouissance en consacrant le titre foncier comme seul acte de propriété.
Voici quelques innovations de la nouvelle loi :
– L’introduction d’un glossaire afin de donner des précisions sur un certain nombre de termes utilisés en matière domaniale et foncière :
Le glossaire permet de définir certaines notions spécifiques à la gestion domaniale et foncière pour éviter les interprétations diverses.
– La faculté accordée au ministre en charge des Domaines d’annuler à tout moment, toute attribution dans le domaine public :
Le ministre en charge des Domaines peut annuler à tout moment toute attribution dans le domaine public sans déclassement préalable. Ce pouvoir n’est enfermé dans aucun délai au sens de l’article 27 LDF. Autrement dit, les portions du domaine public, telles que les espaces verts, les rues, les servitudes des cours d’eau, des voies ferrées, etc. seront mieux surveillées et protégées.
– La précision des missions de la direction générale de l’administration des biens de l’Etat et les prérogatives qu’elle partage avec la direction nationale des domaines et la direction nationale du cadastre :
L’article 32 précise les missions des directions nationales des domaines, du cadastre et de la direction générale de l’administration des biens de l’Etat. Cela évite les chevauchements de compétence et permet aux services techniques chargés de la gestion du domaine de l’Etat d’être plus efficaces.
– La suppression de la concession rurale des modes d’attribution des terrains du domaine privé immobilier de l’Etat
– Les concessions rurales, qui jadis, étaient attribuées par les autorités administratives (sous-préfet, préfet, gouverneur…) sont supprimées en tant que mode d’attribution du domaine privé immobilier de l’Etat.
Les concessions rurales sont attribuées sur des terrains à vocation agro-sylvo-pastorale, c’est-à-dire les terres agricoles. Ces terres sont prises en charge par la loi sur le foncier agricole. Ainsi, dans un souci de cohérence avec ladite loi, elles ont été supprimées par loi domaniale et foncière.
– La possibilité de transformer l’attestation de possession foncière ou de détention de droits fonciers coutumiers dûment établis en titre foncier :
Les attestations de possession et/ou de détention prévues par la loi sur le foncier agricole peuvent être transformées en titre foncier au sens de l’article 114 de la loi domaniale et foncière. Cela permet de garantir et protéger les propriétés foncières des paysans, par l’octroi de titres fonciers relatifs à leurs terres agricoles.
– La restriction de la cession directe aux seules parcelles à usage d’habitation :
Conformément aux dispositions de l’article 35, la cession directe ne peut porter que sur les terrains à usage d’habitation. Cela permet d’éviter la spéculation foncière. Les terrains objet d’autres usages (industriel, commercial, de bureau, scolaire, etc.) sont d’abord attribués sous forme de bail avec promesse de vente et l’Etat cède le titre foncier lorsque les raisons ayant motivé le bail sont réalisées, c’est-à-dire la mise en valeur du terrain (construction effective de l’école, de l’usine, de l’établissement commercial, etc.)
– La consécration du principe de cession sous forme de titre foncier des terrains du domaine privé immobilier des collectivités territoriales, aux fins d’usage d’habitation :
Les terrains à usage d’habitation relevant du domaine privé immobilier d’une collectivité territoriale sont cédés sous forme de titre foncier (article 56 LDF). Cela consacre le titre foncier comme seul acte de propriété et permet de minimiser les litiges liés à l’existence de plusieurs actes de propriété et/ou de jouissance sur une même parcelle.
– La précision des conditions de cession des terrains affectés et cédés aux collectivités territoriales :
Le décret n°2020-414/PT-RM du 31 décembre 2020 détermine les conditions d’attribution du domaine privé immobilier des collectivités territoriales, qu’il s’agisse des terrains affectés ou cédés.
– L’interdiction de la thésaurisation de la terre aux fins de spéculation pour les terres à usage d’habitation :
L’accaparement des terres à des fins spéculatives est prohibé par les dispositions de l’article 57 de la loi, interdisant l’attribution de plus d’une parcelle de terrain à usage d’habitation à un même individu. L’attribution peut porter exceptionnellement sur deux terrains à usage d’habitation dans la même opération d’urbanisme, lorsque lesdits terrains sont contigus et qu’une nécessité le justifie, mais pas plus.
– L’adaptation de la loi domaniale et foncière à la réglementation relative à la comptabilité-matières, la règlementation de la vente des biens mobiliers de l’Etat et des collectivités publiques admis à la réforme :
La vente des biens mobiliers admis à la réforme est faite suivant les règles de la comptabilité-matières. Grâce à la nouvelle loi, les biens meubles de l’Etat et des collectivités territoriales ne peuvent plus être bradés. Auparavant, les véhicules de l’Etat, par exemple, pouvaient être mis à la reforme et vendus à vil prix ; la nouvelle loi met fin à cela.
– La précision de l’acte règlementaire et de l’autorité habilitée à autoriser la vente des biens meubles de l’Etat et des Collectivités et la précision de la qualité de l’agent instrumentaire qui doit procéder à la vente :
L’article 68 LDF précise les autorités chargées de la vente des biens reformés de l’Etat et des collectivités. Ce qui n’était pas prévu par l’ancien code.
– L’introduction du Guichet unique du foncier :
L’article 90 LDF institue un guichet unique en vue de faciliter et simplifier les procédures domaniales et foncières et permettre aux usagers d’effectuer les formalités en un même lieu. Grâce à ce dispositif, le parcours du combattant lié à l’acquisition des documents fonciers sera un mauvais souvenir. Tous les acteurs de la procédure d’attribution des terrains vont être regroupés sur une même plateforme informatique pour diligenter les dossiers. Cela minimisera également les risques de corruption.
– Le renforcement et l’adaptation de la publicité foncière aux réalités socioculturelles à travers l’introduction de tous les moyens modernes et coutumiers d’information :
L’article 120 prévoit de recourir aux moyens modernes et coutumiers d’information en matière d’immatriculation. Ainsi, les chefs de village, de quartier ou de fraction seront directement impliqués lors l’immatriculation des parcelles terrains situées dans leur ressort. Ce qui légitimera davantage les propriétés foncières et permettra d’éviter les spoliations des terres villageoises et autres.
– La réduction du délai de maintien de l’affiche du placard dans les procédures d’immatriculation d’immeubles de soixante (60) à trente (30) jours :
L’article 124 prévoit un délai de 30 jours pour la révélation des droits des tiers au lieu de 60 jours prévus dans l’ancienne législation. Cela permet de raccourcir de 30 jours le temps d’obtention d’un titre foncier ; cela était une demande forte des investisseurs.
– L’introduction de la notion de régularité dans les procédures de création du titre foncier afin qu’il soit juridiquement valide :
Le titre foncier ne vaut que si les procédures sont respectées. Tout titre irrégulier peut faire l’objet de la censure du Tribunal administratif (article 143) et les auteurs et leurs complices seront sanctionnés. Ainsi, le principe de l’inattaquabilité du titre foncier, bien que réaffirmé, ne couvre pas les cas de titres fonciers irrégulièrement créés, qui peuvent être attaqués et annulés.
– L’énonciation claire de la faculté accordée à l’Etat et aux collectivités d’exercer l’action récursoire contre leurs agents en cas de faute intentionnelle :
L’Etat et les collectivités peuvent se retourner contre leurs propres agents en cas de faute dans l’établissement des titres fonciers (article 146 alinéa 3). Cela permet d’éviter des abus de pouvoir de certains agents publics en matière foncière.
– L’énumération des actes constitutifs de stellionat et la fixation du quantum de la peine et le montant de l’amende :
L’article 244 LDF détermine les actes constitutifs de l’infraction de stellionat et les peines. L’ancienne législation renvoyait au code pénal pour la sanction du stellionat. Mais le code pénal ne prévoit pas une telle infraction. Ce qui fait que nombre d’actes échappaient à la sanction. Désormais, les manquements aux règles et procédures de gestion foncière sont réprimés par des dispositions concrètes. Cela permet également de dissuader toute personne d’agir à l’encontre des textes régissant le foncier.
– La validité de titres provisoires déjà établis jusqu’à leur transformation en titre foncier:
Les titres provisoires de concessions rurales, les permis d’occuper, les lettres d’attribution, les concessions urbaines/rurales à usage d’habitation, délivrés avant l’adoption de l’ordonnance n°2020-014/PT-RM du 24 décembre 2020, restent valides jusqu’à leur transformation en titre foncier. Ainsi, ceux qui détiennent des documents fonciers avant la nouvelle loi continueront de jouir de leurs parcelles et pourront demander les titres fonciers de leurs parcelles de terrain.
Enfin, la loi domaniale et foncière détermine les règles applicables en matière domaniale (domaines de l’Etat, des collectivités) et en matière foncière (règles applicables à la propriété de la terre).
La rédaction