Texte (pseudonymisé)
Annulation de Titre Foncier n°10617.
Sommaire :
Moyens de cassation : violation de la loi. Perte de fondement juridique. Défaut de réponses à conclusions. Dénaturation. Contradiction de motifs. Motivation inexacte.
Incompétence du juge judiciaire. Non rétroactivité des lois : les corrections apportées au code domanial et foncier ont donné au juge judicaire seul la compétence de régler les contentieux relatifs à la cession des titres fonciers de l’Etat.
Le titre foncier est définitif et inattaquable…etc. dit le Code domanial et foncier. Ces dispositions ont fait couler beaucoup d’encre et de salive en raison des nombreux conflits autour de titres fonciers, irrégulièrement créés à dessein souvent, par moments frauduleusement créés. La nécessité impérieuse de mettre fin à une certaine confusion a abouti à une correction du Code domanial et foncier.
AU Fond :
Le 13 Novembre 2013 ; C, ayant pour conseil Maître Amidou Diabaté, a assigné, B, ayant pour conseil Maître Mamadou Gakou aux fins d’annulation du titre foncier n°10617 de …au nom de B.
En effet C avait demandé et obtenu du service des Domaines et du Cadastre de …le titre provisoire de la concession rurale de la parcelle de terrain sise à Samalé d’une superficie de 04 ha 62a 79ca. Ainsi le titre foncier n°4041 de Kati a été crée le 27 Octobre 1999 au nom de l’Etat Malien. Suivant acte administratif de vente du 15 Février 2002, ce titre foncier est transféré à son nom .Ensuite Aa, à son tour sollicité et obtenu du Directeur régional des Domaines et du Cadastre de Ae, la transformation en titre définitif de la décision n°2153 /CKTI-DOM du 02 Septembre 2003 du Préfet …lui accordant le titre provisoire de la parcelle de terrain sise à Samalé d’une superficie de 04ha 56a 76ca du Cercle de Kati.
A l ‘issue de la procédure d’immatriculation, le titre foncier n°10617 de Kati a été crée à son tour le 24 Février 2004 au nom de l’Etat du Mali et a été par la suite muté au nom de B. Dès lors naissait un litige entre Aet C.
Dans le cadre de ce litige foncier, le Directeur régional des Domaines et du Cadastre de Ae après s’être rendu sur le terrain a conclu à une double immatriculation de la même parcelle par l’autorité administrative. Il a donc procédé à l’annulation de l’acte administratif n°10.036/MLAFU-DNDC -DRDC du 18 juin 2010 portant création du titre foncier n°10617de …au profit de Y.S en raison de l’antériorité du titre foncier de C.
Aa saisi le Tribunal administratif de Bamako pour excès de pouvoir contre la décision d’annulation de son titre.
Par jugement n°540 du 09 Décembre 2010, sa demande a été rejetée ; sur appel, la Section Administrative a, par arrêt n°260 du 11 Novembre 2011 infirmé le jugement déféré ; qu’un recours en révision a été introduit contre cet arrêt et par arrêt n°204 du 06 juillet 2012, la Section Administrative de la Cour Suprême s’est déclarée incompétente.
Par jugement n°69 du 03 Février 2014, le Tribunal de Première Instance de Kati a rejeté l’exception soulevée et a prononcé l’annulation du titre foncier n°10617 du 24 Février 2004 au nom de A;
Sur appel de celui -ci la Cour d’appel de Bamako a, par arrêt n°587 du 09 juillet 2014 confirmé le jugement entrepris. C’est contre cet arrêt qu’est dirigé le présent pourvoi.
2- Exposé des moyens de cassation :
A l’appui de son pourvoi, Apar l’entremise de son conseil Maître Mamadou Gakou, soulève six moyens de cassation ;
2.1 De la violation de la loi
a) En ce qu’en confirmant en toutes ses dispositions un jugement qui a ordonné l’exécution provisoire en matière foncière l’arrêt a violé la loi en ignorant l’effet suspensif des voies de recours en matière immobilière, foncière, successorale, et d’état des personnes, méconnaissant ainsi le devoir de reformation de la Cour d’appel visant à réparer les erreurs intellectuelles du premier juge ; qu’en conséquence l’arrêt attaqué encourt la cassation.
b) En ce qu’aux termes de l’article 8 de la loi n° 94-006 AN.RM du 18 mars 1994 portant organisation et fonctionnement des Tribunaux Administratifs « le Tribunal Administratif connait des recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre les décisions des autorités administratives régionales ou locales » ;
En l’espèce B, demandeur au pourvoi, avait attaqué devant les juridictions administratives une décision de la Direction Régionale des Domaines et du Cadastre de Koulikoro.
Que l’article 8 précité fait du juge administratif le juge de la légalité des décisions administratives, alors que la nouvelle loi, ne dérogeant nullement à ce texte essentiel de tout le droit administratif, fait du juge civil le juge du contentieux de la propriété et non de la légalité des actes administratifs.
Le pourvoi soutient que le juge judiciaire ne peut en aucune façon annuler un titre foncier sous peine de remise en cause de tout l’édifice juridique et juridictionnel relatif à la compétence matérielle du juge administratif ; le législateur selon le pourvoi est si conscient du risque de dérive qui consisterait à confier au juge judiciaire toute faculté d’annuler un titre foncier, que l’article 170 bis nouveau dispose « au cas où par erreur un même immeuble ou une même portion d’immeuble serait immatriculée deux fois, la première immatriculation serait seule valable par préférence à la seconde qui sera annulée par le conservateur, qui peut être saisi aux fins d’annulation par chacune des parties titulaires du titre».
Le pourvoi poursuit que nulle part ailleurs dans le texte de la nouvelle loi, le législateur ne confie au juge civil le pouvoir d’annuler l’immatriculation d’un immeuble, même s’il est regrettable de noter qu’il crée une dangereuse confusion dans l’article 42 ter (nouveau) de la loi ;
Selon le pourvoi, le juge civil en annulant le titre foncier n° 10617 de …a empiété sur la compétence administrative du conservateur, compétence à lui dévolue expressément et exclusivement par la nouvelle loi ; que cet excès de pouvoir encourt la cassation pour violation flagrante de la loi ;
c) En ce que l’arrêt attaqué méconnait et viole le principe de la nom rétroactivité des lois en énonçant dans les motifs de sa décision que B, appelant se trouvant dans un contentieux pendant devant la juridiction administrative ne saurait invoquer la non rétroactivité, parce que « la loi nouvelle, en son article 2, dispose qu’elle est applicable aux contentieux pendant devant les juridictions de l’ordre judiciaire ou le l’ordre administratif le jour de sa publication. Qu’il est à se demander s’il s’agit d’une redondance ou de la recherche d’un effet lorsque le contentieux devant les juridictions de l’ordre judiciaire est mentionné dans l’article 42 Ter (nouveau) puis dans les dispositions transitoires ; que toutefois, il s’agit d’un dessaisissement de procédure de la juridiction de l’ordre administratif au profit de la juridiction de l’ordre judiciaire à la date de la publication de la nouvelle loi.
Le demandeur au pourvoi estime qu’aucune disposition expresse de la loi nouvelle ne prononce l’annulation ou la destitution de leurs effets définitifs ou provisoires des actes qui ont été régulièrement accomplis sous l’empire du texte ancien ;
Si une loi nouvelle est d’application immédiate, elle ne peut sans rétroactivité atteindre les effets de la situation juridique définitivement réalisée antérieurement, et en aucun cas, léser des droits acquis sous l’empire de la loi ancienne ;
Le demandeur au pourvoi considère que le titre foncier dont l’annulation a été demandée et obtenue à tort par la juridiction judiciaire au lieu du conservateur, existait avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 janvier 2012, qui ne pouvait par conséquent régir son annulation ; il poursuit en soutenant que la loi qui a consacré un principe nouveau n’est applicable aux situations et aux rapports juridiques établis ou formés avant sa promulgation qu’autant qu’il ne doit pas en résulter la lésion des droits acquis (Civ. 3è, 29 janvier 1980, Bull Civ III n°25 – Bulletin des arrêts de la Cour de cassation « la disposition d’une loi qui exprime la vocation de ce texte à régir les effets à venir des situations juridiques préexistantes, ne permet pas de méconnaitre des droits antérieurement acquis.
Le droit acquis est le droit qui existe dans le patrimoine au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et dont la validité ne peut plus être mise en cause ; C’est celui qui est entré dans notre patrimoine, qui en fait partie et que ne peut plus nous ôter, celui dont nous le tenons à plus forte raison un titre dont la Cour Suprême a relevé l’inexistence.
En fin et surtout la disposition de la nouvelle loi de procédure, si elle a en partie modifié le Code Domanial et Foncier , n’a pu modifier la procédure suivie devant la Section Administrative et la Cour Suprême en matière de recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs , ce d’autant plus d’ailleurs, comme rappelé plus haut , seul le conservateur a compétence pour annuler en vertu même de la nouvelle loi l’immatriculation immobilière ; Qu’ainsi l’arrêt attaqué encourt la censure de la Cour Suprême de ce chef .
d – De la fin de non recevoir relative à l’autorité de la chose jugée (article 118 CPCCS).
Le demandeur au pourvoi soutient que si la Section Administrative s’est déclarée incompétente sur le recours en révision, elle n’a pas remis en cause l’annulation de la décision du Directeur Régional des Domaines et la validité du titre foncier.
L’autorité de la chose jugée est attachée à tout acte juridictionnel quelle que soit la juridiction dont il émane ;
Que même si la loi nouvelle renvoie le contentieux devant le juge judiciaire, elle n’interdit pas et ne saurait le faire, de tenir en considération ce qui a déjà été jugé par la Cour Suprême ;
Qu’en l’espèce, il y a autorité de la chose jugée car la même question litigieuse, oppose les mêmes parties et procède de la même cause, sans qu’aient été invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation des parties.
Qu’en conséquence estime le pourvoi, l’arrêt mérite d’être cassé.
2-2. Perte de fondement juridique
En qu’en l’espèce la notion d’inexistence renvoie à nombre d’hypothèses graves dans lesquelles l’acte ne peut plus répondre à sa raison d’être parce que son existence est artificielle ;
Qu’en effet, et comme l’a souligné le commissaire du gouvernement à l’audience de la Section Administrative il serait scandaleux de laisser subsister des actes manifestement et profondément viciés de bout en bout qui sont une honte pour l’ordonnancement juridique ; que ce qui est une honte pour la Cour Suprême, les faits étant constants, ne saurait être une vertu pour les juges judiciaires du fond, motif pris qu’il y a une loi nouvelle laquelle, quelle que soit la juridiction saisie, ne saurait ressusciter un acte inexistant pour aller gagner à …une procédure contre un acte limpide qui a respecté scrupuleusement toutes les conditions de fond et de forme sans aucune interférence subjective ;
Qu’il est constant, d’après le pourvoi, que la fraude corrompt tout et que pour l’anecdote, le fameux al Capone ne fut pas perdu par ses activités de gangster, mais par les vices que contenaient ses déclarations de revenus.
2-3 Défaut de réponse à conclusions écrites :
Dans ses conclusions du 25 Novembre 2013, devant le juge civil de …, Aavait invoqué la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état ». En effet, Ad Ac est inculpé de faux et usage de faux devant le juge d’instruction du Tribunal de Première Instance de Kati pour le montage du document en vertu duquel il a formé la présente assignation ;
Que les juges du fonds n’ayant pas répondu aux conclusions susvisées, l’arrêt de la Cour d’Appel doit être cassé, d’autant qu’elle a repris dans l’exposé des motifs ce grief du demandeur au pourvoi ;
2-4 De la dénaturation
Le demandeur au pourvoi estime que les juges du fond ont dénaturé l’arrêt n°260 du 11 novembre 2011 de la Section Administrative de la Cour Suprême dont l’essentiel a été repris dans toutes ses notes et conclusions ; En annulant le titre foncier dont se prévaut AaAd Ac, le juge administratif avait relevé une série d’irrégularités allant de la superficie accordée par le Chef d’arrondissement au delà du seuil fixé et sans l’accord du Chef de village alors que n’était excipée aucune utilité publique, la vente entre un « emprunteur » et un inconnu par deux notaires dans des actes dont on ne retrouve la trace nulle part, l’absence de procès-verbal de palabre indispensable pour une attribution villageoise… ;
Le demandeur au pourvoi reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas relevé une mention réductrice et incompréhensible du défendeur au pourvoi détachant « la décision du chef d’Arrondissement qui constitue un excès de pouvoir et peut donc être considérée comme un acte inexistant mais pas son titre foncier » et les autres actes ; Il est patent qu’il s’agit de la même parcelle et qu’en présence de l’irrégularité reconnue par le défendeur au pourvoi de la décision du Chef d’Arrondissement et dont elle admet l’inexistence l’on se demande alors sur quelle base un titre foncier a pu être établi, car il s’agit d’une procédure en maillons et étapes complémentaires et indissociables pour former un tout, s’agissant d’une concession rurale ;
En second lieu, le défendeur au pourvoi admet lui même, s’agissant du l’autorité de la chose jugée prévue par l’article 486 CPCCS, que « la décision par laquelle une juridiction se déclare incompétente ne tranche rien du litige soumis à son examen (page 3 de l’arrêt attaqué), il s’ensuit que si rien n’est tranché par son recours en révision, ce qui demeure c’est l’arrêt qui annule son titre foncier ;
Les juges d’appel en ne retenant pas cet acquiescement ont mal apprécié la portée juridique des écrits soumis à sa sagacité, ce qui constitue une dénaturation de documents clairs et précis et établit le caractère purement dilatoire du recours en révision ; que pour cette raison, l’arrêt attaqué doit être cassé ;
2-5 Contradiction de motifs
Le demandeur au pourvoi relève qu’en confirmant une décision d’annulation prise par le juge judiciaire et non par le conservateur, la Cour d’Appel se contredit et détruit sa décision qui est ainsi nulle. En effet, la Cour d’Appel avait retenu que « la première immatriculation sera seule valable par préférence à la seconde qui sera annulée par le conservateur (page 6, paragraphe 1 de l’arrêt) » ;
Dans le paragraphe suivant, la Cour dit que c’est le conservateur qui a annulé le titre le plus récent faisant une confusion entre le conservateur et le Directeur Régional des Domaines qui ne sont pas la même autorité administrative ;
2-6 Motivation inexistante :
Le demandeur au pourvoi estime que la Cour d’Appel de Bamako parle d’erreur et d’antériorité tirée prétendument de l’article 170 bis nouveau ;
a) Au lieu d’erreur, la Cour d’Appel, soutient le pourvoi, aurait dû parler de fautes volontaires consistant en une série d’actes criminels :
– Achat d’une parcelle (prêtée et non cédée) de 4ha 56ca avec un certain Kanté
(fictif) suivant actes établis par deux notaires différents ;
– Vente dont les traces ne figurent pas dans le dossier ;
– Transfert fantôme par un autre notaire dont la trace ne figure pas dans le dossier ;
– Prêt de terrain escamoté en don ;
– Refus des villageois de vendre la parcelle, ayant appartenu à la défunte mère de
B, échue à celui-ci par héritage, tel qu’il est établi par le procès-verbal d’enquête préliminaire du 31 Août 2010 du service d’investigation judiciaire
de la Gendarmerie Nationale du Camp I de Bamako ;
– Titre provisoire obtenu sans le procès-verbal de palabre dans le cas de concessions rurales ;
– Parcelle octroyée de force ;
– Ventes et immatriculations clandestines donc juridiquement fictives et inexistantes.
b) Selon le pourvoi, dans de telles conditions, comme l’indique l’arrêt de la Cour Suprême, que les juges du fond ignorent comme si c’était Nicaraguéen, « l’antériorité ne vaut que dans le cas d’actes administratifs réguliers pris par une autorité agissant dans le domaine de sa compétence », ce qui n’est pas le cas ni du chef d’arrondissement, ni du Directeur régional des Domaines, la loi nouvelle, tout comme la loi ancienne conférant pouvoir et compétence pour annuler l’immatriculation au seul conservateur et non aux juges de l’ordre judiciaire.
Pour toutes ces considérations, le demandeur au pourvoi conclut à la cassation et à l’annulation de l’arrêt attaqué ;
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3- ANALYSE DES MOYENS DE CASSATION :
3-1 Premier moyen tiré de la violation de la loi en quatre branches
3-1-1 Première branche tirée de la violation de l’effet suspensif des voies de recours en matière immobilière
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé en toutes ses dispositions un jugement qui a ordonné l’exécution provisoire en matière foncière, au mépris de l’effet suspensif des voies de recours en matière immobilière, foncière, successorale et d’état des personnes.
Mais attendu qu’en l’espèce, suite à une demande en défense à exécution initiée par B, la Cour d’Appel de Bamako a, par arrêt n°95 du 21 Mars 2014 censuré la disposition critiquée du jugement n°69 du 03 Février 2014 du Tribunal de Première Instance de Kati.
Ainsi la confirmation du jugement entrepris ne saurait concerner une partie de la décision déjà anéantie par les voies appropriées. Dès lors, la confirmation ne peut concerner que les dispositions du jugement non contraires. En conséquence cette première branche ne saurait être accueillie.
3-1-2 Deuxième branche tirée de la violation de l’article 8 de la loi n°94-006/ AN-RM du 18 Mars 1994
Par cette branche, il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir statué dans un domaine où le juge judiciaire n’a pas compétence. En effet, le pourvoi estime que l’article 8 de la loi suscitée fait du juge administratif le juge de la légalité des décisions administratives, alors que la nouvelle loi, fait du juge civil le juge du contentieux de la propriété et non de la légalité des actes administratifs.
Mais attendu que l’article 170 bis nouveau du Code Domanial et Foncier dispose que « le conservateur ainsi que les parties peuvent toujours saisir le juge civil des contestations persistantes ».
De même l’article 42 ter du même texte a donné compétence au juge judiciaire au détriment du juge administratif pour connaitre du contentieux relatif à la cession du titre foncier. D’où il suit que cette deuxième branche ne saurait non plus prospérer ;
3-1-3 Troisième branche tirée de la non rétroactivité des lois.
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir appliqué au contentieux une loi qui ne lui est pas applicable et de n’avoir pas respecté les droits acquis.
Mais attendu que l’article 42 ter (nouveau) du Code Domanial et Foncier dit que « le contentieux relatif à la cession des titres fonciers de l’Etat est soumis exclusivement à la compétence des Tribunaux judiciaires. Les juridictions administratives ne sont pas compétentes pour connaitre de ce contentieux même lorsque le contrat de cession est dressé en la forme d’un acte administratif de cession » ;
Au moment où intervenait la loi n°2012-001 du 10 Janvier 2012, portant modification de l’ordonnance n°00-027 P-RM du 22 Mars 2000 portant Code Domanial et Foncier, modifiée et ratifiée par la loi n°02-008 du 12 Février 2012, un recours en révision était pendant devant la Section Administrative de la Cour Suprême contre l’arrêt n°260 du11 Novembre 2011. En application des dispositions de la nouvelle loi, notamment de l’article 42 ter (nouveaux) susvisé ; la Section Administrative de la Cour Suprême s’est déclarée incompétente par arrêt n°204 du 06 Juillet 2012. Dès lors que la Section n’a pas mis fin à la procédure, l’arrêt invoqué par le demandeur au pourvoi n’est pas définitif et ne peut par conséquent faire obstacle à la saisine de la juridiction normalement compétente. En tout état de cause l’article 2 de la loi n°2012-001 du 10 Janvier 2012 dit clairement que « la présente loi qui abroge toutes dispositions antérieures contraires, est applicable aux procédures d’immatriculation encours, ainsi qu’aux contentieux pendant devant l’administration et les juridictions, qu’elles soient de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, le jour de sa publication ».
D’où il suit que l’arrêt attaqué en appliquant les nouvelles dispositions de la loi, n’a nullement méconnu ou violé le principe de la non rétroactivité des lois.
3-1-4 Quatrième branche tirée de la fin de non recevoir relative à l’autorité de la chose jugée (Article 118 CPCCS)
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé le principe de l’autorité de la chose jugée ;
Mais attendu que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux seuls jugements mettant fin définitivement à une contestation ;
Qu’en l’espèce, la décision d’incompétence des juges de la Section Administrative de la Cour Suprême est la conséquence de l’adoption et de l’application de la nouvelle loi attribuant la compétence du contentieux relatif à la cession des titres fonciers de l’Etat aux Tribunaux judiciaires ; Que cette décision ne mettant pas fin à la situation conflictuelle de façon définitive, c’est à tort que le demandeur au pourvoi invoque l’autorité de la chose jugée. D’où il suit que cette autre branche ne saurait prospérer.
3-2 Deuxième moyen tiré de la perte de fondement juridique :
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche à l’arrêt attaqué la perte de fondement juridique.
Attendu que dans les cas de perte de fondement juridique, la cause de cassation invoquée est nécessairement postérieure au prononcé de la décision attaquée ;
Qu’en principe ce cas de figure correspondant aux situations ci- après :
– lorsqu’une loi nouvelle, applicable aux affaires pendantes devant la Cour Suprême est venue modifier les règles applicables au litige opposant les parties ;
– lorsque la décision attaquée est la suite d’un acte finalement annulé (il peut s’agir d’un acte administratif ou d’une décision de justice à la suite de laquelle, mais avant son annulation, la décision attaquée a été rendue) ;
Mais attendu qu’en l’espèce on ne se trouve visiblement pas dans un de ces deux cas ; Qu’en effet aucune nouvelle loi applicable aux affaires pendantes devant la Cour Suprême n’est venue modifier les règles applicables au litige opposant les parties. La loi alléguée date du 10 Janvier 2012 alors que l’arrêt attaquée lui date du 09 Juillet 2014.
Par ailleurs, la décision dont l’annulation est invoquée n’étant pas définitive, elle ne peut faire perdre à la décision du 09 Juillet 2014 son fondement juridique.
3-3-Troisième moyen tiré du défaut de réponse à conclusions écrites :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaquée de n’avoir pas répondu aux conclusions produites devant le Tribunal Civil de Kati à l’audience du 25 Novembre 2013 et de n’avoir pas observé la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état » qui obligeait le Tribunal à surseoir à statuer tant que le Tribunal répressif n’avait vidé sa saisine.
Mais attendu que d’une part, en principe les juges du fond n’ont l’obligation de répondre qu’aux moyens ‘’formulés expressément ‘’ par des conclusions d’appel et ne sont pas tenue de répondre à un moyen soulevé en première instance et non repris en appel (Civ 1er Mars 1973 Bull. Civ. II, n°85, 13 Févr 1974 ibid. II n°58).
Que les conclusions d’appel du 15 Avril 2014 et les observations du 12 Mai 2014 déposées par les Conseils de Ane font nullement état des conclusions susvisées.
Attendu d’autre part que les juges du fond apprécient souverainement les demandes de sursis à Statuer, qu’il ne peut donc leur être reproché, hormis les questions préjudicielles, d’avoir rejeté une telle demande ;
D’où il suit que ce moyen ne peut prospérer.
3-4- Quatrième moyen tiré de la dénaturation :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé par une mauvaise lecture ou une lecture incomplète l’arrêt de la Section Administrative de la Cour Suprême.
Mais, attendu qu’en l’espèce l’arrêt attaqué en disant « que l’appelant fait valoir que l’arrêt n°260 du 11 Novembre 2011 de la Section Administrative de la Cour Suprême qui lui a conféré ses droits sur le titre foncier n°10617 est antérieur à la loi n°2012-001 du 10 Janvier 2012 ;
Que contrairement aux prétentions de l’appelant, l’arrêt n°260 du 11 Novembre 2011 de la Section Administrative de la Cour Suprême ne lui a pas conféré un droit acquis ni consolidé son droit d’autant que cette décision fait l’objet d’un recours en révision devant la Section Administrative de la Cour Suprême ; qu’il s’ensuit que la loi n°2012-001 du 10 Janvier 2012 portant modification du Code Domanial et Foncier est intervenue à un moment où le litige entre les parties était encore pendant devant la juridiction administrative ;
Attendu que la nouvelle loi dispose dans son article 2 qu’elle est applicable aux procédures d’immatriculation en cours ainsi qu’aux contentieux pendants devant l’administration et les juridictions, qu’ils soient de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, le jour de sa publication ».
Attendu que ces motifs de la décision ne peuvent nullement s’assimiler à une dénaturation d’un acte mais plus à un raisonnement intellectuel ayant permis à la Cour de prendre sa décision ;
D’ailleurs par ce moyen, le demandeur au pourvoi tend à remettre en discussion devant la Cour Suprême des faits souverainement appréciés par les juges du fond ; cette appréciation échappant au contrôle de la Cour Suprême, il convient de rejeter ce moyen.
3-5 Quatrième moyen tiré de la contradiction de motifs ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué de contenir des motifs contradictoires en ce que les juges d’appel, après avoir confirmé le jugement entrepris qui annulait le titre foncier de B, ont pourtant affirmé qu’il appartient au conservateur d’annuler le second titre.
Mais attendu que contrairement aux affirmations du pourvoi, l’arrêt attaqué n’a pas soutenu qu’il appartient au seul conservateur d’annuler le Titre Foncier ;
En effet le juge d’appel a rappelé que l’article 170 bis (nouveau) du Code Domanial et Foncier prévoit l’annulation selon les cas, tantôt par le conservateur, tantôt par le juge judiciaire. Dès lors cet autre moyen ne saurait non plus prospérer ;
3-6 Cinquième moyen tiré de la motivation inexistante
Attendu qu’il en reproché à l’arrêt attaqué,
a) de parler d’erreur alors qu’il s’agit de fautes volontaires consistant en une série d’actes criminels commis par Aa Ab Ad Ac pour parvenir à l’immatriculation de la parcelle objet du litige.
b) d’antériorité qui ne saurait valoir que dans le cas d’actes administratifs réguliers pris par une autorité agissant dans le domaine de sa compétence, ce qui n’est pas le cas, soutient le pourvoi ;
Mais attendu que toute la démarche du pourvoi tend à démontrer l’irrégularité des actes posés par le défendeur au pourvoi et l’incompétence des juridictions de l’ordre judiciaire auxquelles, ils préfèrent les juridictions de l’ordre administratif qui selon, lui auraient compétence pour procéder à l’annulation d’un titre foncier.
Attendu que l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond échappe au contrôle de la haute juridiction ; que relativement à l’annulation du titre foncier, l’article 70 bis (nouveau) Code Domanial et Foncier dit expressément : « Au cas où par erreur, un même immeuble ou une même portion d’immeuble serait immatriculé deux fois, la première immatriculation sera seule valable par préférence à la seconde qui sera annulée par le conservateur » ;
Toutefois, « le conservateur ainsi que les parties peuvent toujours saisir le juge civil des contestations persistantes », y compris l’annulation du second titre crée.
Attendu que l’interprétation faite par la Cour d’Appel de Bamako de l’article 170 bis (nouveau) du Code Domanial et Foncier est tout à fait juste ;
Que dès lors ce dernier moyen ne peut non plus être accueilli.
…Le rejette ;…
Source: Mali, Cour suprême, 10 août 2015, 173 (juricaf.org)