2024 sera-t-elle l’année du fameux «retour à l’ordre constitutionnel» ? Pas évident ! Surtout qu’après le report (décision annoncée le 25 septembre 2024) de la présidentielle des 4 et 18 février 2024 (pour le premier et le second tours), l’opinion nationale et internationale s’attendait à de nouvelles dates dans le discours du nouvel an du président de la Transition. Le chef de l’Etat a plutôt brouillé davantage les cartes… Mais, ce retour à l’ordre constitutionnel est-il une priorité par rapport aux défis comme la sécurisation de l’ensemble du territoire et la stabilisation du pays ?
Dans son message du nouvel an 2024, le président de la Transition a invité les Maliens «au calme et à la modération». Et de rappeler, «notre mission n’est pas achevée… Elle consiste à recouvrer et à sécuriser l’intégrité du territoire, sans exclusivité aucune» ! Ceux qui attendaient de lui des signaux clairs pour baliser le chemin du retour à l’ordre constitutionnel ont vite déchanté. Il revenait alors au ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation de gérer l’épineuse question sans trop se mouiller non plus…
«Notre souhait le plus ardent est d’organiser l’élection présidentielle le plus rapidement possible… Les autorités travaillent d’arrache-pied afin que le délai de la Transition soit respecté», a juste indiqué le Colonel Abdoulaye Maïga quant il était l’invité de «Mali Kura Taassira 2» de la télévision nationale. Mais, a-t-il rappelé, entre «le souhait et la réalité, il y a une grande différence». Il est revenu sur les trois arguments techniques avancés le 25 septembre 2023 pour justifier le report de l’élection présidentielle. Il s’agit notamment de la nécessité de relire la loi électorale conformément à la nouvelle Constitution ; de mettre fin à la prise d’otage de notre base de données du Le Recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC) par la société «Idemia» ; et la prise en charge des résultats de la révision annuelle des listes électorales par l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE). Mais, lors de l’émission, le ministre Maïga a avancé un 4e argument lié à la nouvelle posture des groupes armés depuis l’attaque du bateau «Tombouctou» le 10 septembre 2023. Celle-ci a été suivie d’une série d’attaques contre notamment les camps de Bamba, Bourem, Gao, Ber… Des attaques revendiquées par les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger auquel le gouvernement a mis fin le 25 janvier 2024.
«C’est un problème réel pour la simple raison que ces groupes armés avaient la responsabilité d’assurer la sécurité des localités dans lesquelles ils se trouvaient», a expliqué le ministre d’Etat en déplorant que des acteurs supposés être des acteurs de la paix, se transforment subitement en «groupes terroristes». Il faut d’abord parcourir la loi des finances 2024 pour voir que ce scrutin présidentiel n’est pas envisagé cette année par les décideurs du moment. Aucun chapitre n’y est consacré. Alors qu’avec la souveraineté retrouvée, l’idéal est que nos élections soient financées par le budget d’État, ou au moins qu’il assure la plus grande part du financement. Feu le Général Moussa Traoré ne disait-il pas que «l’aide la plus noble et la plus utile est celle qui provient de nous-mêmes» ?
L’organisation des élections, notamment la présidentielle, est l’un des domaines où nous devons clairement afficher notre souveraineté pour fermer la porte à l’ingérence des bailleurs de fonds dans notre gouvernance. Aujourd’hui, la question que nous devons nous poser est de savoir est-ce le retour à l’ordre constitutionnel est une priorité par rapport aux défis comme la sécurisation de l’ensemble du territoire et la stabilisation du pays ? Certes, dans ces domaines, des pas ont été franchis. Mais, a-t-on atteint le seuil où un retour à la case départ n’est plus envisageable ?
Se mettre autour de la table pour dégager un chronogramme consensuel
Des politiciens vous diront oui parce qu’ils sont pressés de se remettre en selle de la gouvernance du pays. Et cela même s’ils ne sont plus crédibles aux yeux de beaucoup de Maliens et qu’ils sont incapables de nous donner des garanties quant à leur capacité et surtout leur engagement à poursuivre la refondation de l’Etat comme entamée par la Transition…
Si l’urgence n’est pas d’organiser la présidentielle cette année, il est important que cela soit clair pour tout le monde, notamment la principale concernée : la classe politique malienne ! Puisqu’il s’agit de l’intérêt national, et d’ambitions personnelles, il faut créer un cadre idéal pour prendre langue avec la classe politique. Il faut trouver les arguments pour la convaincre de la nécessité de mener certaines réformes pour que la résilience du peuple ne soit pas vaine parce que le changement attendu aura été une nouvelle désillusion comme celui présagé par l’avènement de la démocratie. Il faut se mettre autour de la table pour dégager un chronogramme consensuel, sans aucune pression extérieure et surtout dans le but d’assurer au pays une stabilité pérenne. Et c’est aux autorités de la Transition de prendre l’initiative. Cela devait être d’ailleurs une mission assignée au Comité de pilotage du dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale.
Pour restaurer la confiance avec les acteurs politiques, les dirigeants actuels du pays doivent lever tout doute sur leurs vraies motivations à ne pas aller à la présidentielle cette année. Tout comme ils doivent aussi les convaincre que ce choix n’est lié à aucune ambition politique de la part de qui que ce soit parmi eux. Autrement, qu’ils ne veulent pas faire de leur gestion de la transition un CDI (Contrat à durée indéterminée) comme le craignait récemment un jeune leader politique.
«La prorogation n’a jamais été un objectif… L’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation de l’élection présidentielle uniquement durant la Transition, tout en laissant les autres scrutins au soin des nouvelles autorités élues, indiquent à suffisance la volonté de retourner à un ordre constitutionnel sécurisé et apaisé», s’est défendu le Colonel Abdoulaye Maïga dans l’émission «Mali Kura Taasira 2». Des arguments qui sont loin d’avoir convaincu la classe politique malienne qui y voit plutôt une volonté des militaires de confisquer le pouvoir. «Dans le budget d’État de 2024, on a enlevé le chapitre des élections. Si le budget d’État est l’illustration chiffrée des décisions politiques, cela voudrait dire que la décision politique de nos autorités est de ne pas organiser les élections en 2024. Nous avons besoin que nos autorités nous fixent un cap en la matière», avait d’ailleurs aussitôt réagi Moussa Mara, candidat désigné par le parti Yelema lors de son dernier congrès tenu en décembre dernier.
Nous sommes parfaitement d’accord avec Me Mountaga Tall (lors de la présentation de ses vœux du nouvel an à la presse) qui disait que «le report des élections engage l’avenir du pays… Il ne faut trancher la question qu’avec l’ensemble des forces vives de la nation. Ce n’est pas une question de prérogatives ou technique, mais c’est une question qui doit faire consensus. Quand on parle de consensus, on parle au minimum de consultation du plus grand nombre». D’où la nécessité de prendre langue avec les forces vives pour parvenir à un chronogramme consensuel pour le retour à l’ordre constitutionnel. Autour de la table, chacun doit se dire que le Mali n’a plus besoin d’élections bâclées et sans inclusion. Et que le changement suppose qu’on arrête de faire plaisir aux autres pour nous occuper réellement du futur de notre nation, des prochaines générations !
Moussa Bolly
Source : Le Matin