Au Mali, la loi portant sur le foncier agricole (LFA) a été adoptée à l’unanimité par les députés réunis en session extraordinaire le 31 mars 2017 et promulguée par le président de la République le 11 avril 2017.
Première loi malienne spécifiquement consacrée au foncier agricole, elle introduit d’importantes innovations en faveur de la reconnaissance et de la protection des droits fonciers des communautés locales et des exploitations agricoles familiales.
Le foncier agricole remplace la concession rurale
Dans l’ordonnance N°2020-014/PT du 24 décembre 2020 portant loi domaniale et foncière, la concession rurale n’est plus reconnue comme mode d’attribution des terrains du domaine privé immobilier de l’Etat. Ce mode d’attribution est règlementé par le foncier agricole.
Sous l’emprise de l’ancienne loi, la concession rurale faisait partie des modes d’attribution des terrains dans le domaine privé immobilier de l’Etat. Ce mode d’attribution est aujourd’hui supprimé. La concession rurale est prise en charge par la loi portant sur le foncier agricole. L’ancienne loi domaniale et foncière autorisait les autorités administratives, en l’occurrence les Sous-préfets, les Préfets et Gouverneurs, à attribuer les concessions rurales. Sous l’emprise de la nouvelle loi, les données ont désormais changé à travers la suppression de ce mode d’attribution.
Aussi, en lieu et place des autorités administratives, ce sont désormais les autorités coutumières locales qui ont le droit de décider de la gestion de leurs terres agricoles. Les concessions rurales sont attribuées sur des terrains à vocation agro-sylvo-pastorales, autrement dit, les terres agricoles. Ces terres étant prises en charge par la loi sur le foncier agricole, elles ont été tout simplement supprimées par la loi domaniale et foncière. Cela dans un souci de cohérence avec la loi elle-même.
Par ailleurs Le foncier rural malien cristallise autant les convoitises que les conflits. C’est ce que révélait le Journal du Mali en 2016. En effet, la majorité des conflits fonciers auxquels font face les autorités maliennes sont relatifs aux terres agricoles, aussi rares que convoitées. Une spéculation qui aboutit à des situations explosives voire ubuesques.
Lors du lancement de la campagne nationale de reboisement le 6 août, le ministre de l’Environnement et de l’Assainissement révélait ainsi que « dans la forêt classée de Tienfala, on compte au moins une cinquantaine de titres fonciers, dûment délivrés par les agents de l’État », tandis que son homologue des Domaines de l’État, des Affaires foncières et du Patrimoine, Mohamed Aly Bathily, constatait trois mois plus tôt qu’« un titre foncier a été créé sur tout le village de Laminbambala (région de Sikasso) pour le donner à une société. Le village suivant, situé à 3 km, a également été donné comme titre foncier. On leur a donné 6 mois pour libérer les lieux et s’installer à 10 km, loin du goudron, sans dédommagement, ni rien ».
Si la gestion du foncier rural est aussi délicate au Mali, c’est principalement en raison de « la raréfaction de la ressource et les spéculations des entrepreneurs privés. Dans les zones de cultures, les producteurs cherchent chaque année à augmenter leur rendement. Cela passe en général par l’augmentation des superficies exploitées ou le défrichage de nouveaux espaces vierges. Une pratique qui est limitée par la disponibilité des ressources et qui provoque des rivalités parfois meurtrières. La propriété terrienne est encore largement régie par le droit coutumier en zone rurale et périurbaine, rarement détenteurs de documents administratifs justifiant leur droit. Les propriétaires se retrouvent démunis face aux spéculateurs qui font main basse sur les terres rurales au profit d’investisseurs venus de la ville ». La possibilité de transformer l’attestation de possession foncière ou de détention de droits fonciers coutumiers dûment établis en titre foncier :
Les attestations de possession et/ou de détention prévues par la loi sur le foncier Agricole peuvent être transformées en titre foncier au sens de l’article 114 de la Loi domaniale et foncière. Cela permet de garantir et protéger les propriétés foncières des paysans, par l’octroi de titres fonciers relatifs à leurs terres Agricoles.
La restriction de la cession directe aux seules parcelles à usage d’habitation :
Conformément aux dispositions de l’article 35, la cession directe ne peut porter que sur les terrains à usage d’habitation. Cela permet d’éviter la spéculation foncière. Les terrains objet d’autres usages (industriel, commercial, de bureau, scolaire, etc.) sont d’abord attribués sous forme de bail avec promesse de vente et l’Etat cède le titre foncier lorsque les raisons ayant motivé le bail sont réalisées, c’est-à-dire la mise en valeur du terrain (construction effective de l’école, de l’usine, de l’établissement commercial, etc.).
La consécration du principe de cession sous forme de titre foncier des terrains du domaine privé immobilier des Collectivités territoriales, aux fins d’usage d’habitation :
Les terrains à usage d’habitation relevant du domaine privé immobilier d’une Collectivité territoriale sont cédés sous forme de Titre foncier (article 56 LDF). Cela consacre le titre foncier comme seul acte de propriété et permet de minimiser les litiges liés à l’existence de plusieurs actes de propriété et/ou de jouissance sur une même parcelle.
La précision des conditions de cession des terrains affectés et cédés aux Collectivités territoriales :
Le décret n°2020-414/PT-RM du 31 décembre 2020 détermine les conditions d’attribution du domaine privé immobilier des collectivités territoriales, qu’il s’agisse des terrains affectés ou cédés.
L’interdiction de la thésaurisation de la terre aux fins de spéculation pour les terres à usage d’habitation :
L’accaparement des terres à des fins spéculatives est prohibé par les dispositions de l’article 57 de la loi, interdisant l’attribution de plus d’une parcelle de terrain à usage d’habitation à un même individu. L’attribution peut porter exceptionnellement sur deux terrains à usage d’habitation dans la même opération d’urbanisme, lorsque lesdits terrains sont contigus et qu’une nécessité le justifie, mais pas plus.
L’adaptation de la loi domaniale et foncière à la réglementation relative à la comptabilité matières, la règlementation de la vente des biens mobiliers de l’Etat et des Collectivités publiques admis à la réforme :
La vente des biens mobiliers admis à la réforme est faite suivant les règles de la comptabilité matière. Grâce à la nouvelle loi, les biens meubles de l’Etat et des Collectivités territoriales ne peuvent plus être bradés. Auparavant, les véhicules de l’Etat, par exemple, pouvaient être mis à la reforme et vendus à vil prix ; la nouvelle loi met fin à cela.
La précision de l’acte règlementaire et de l’autorité habilitée à autoriser la vente des biens meubles de l’Etat et des Collectivités et la précision de la qualité de l’agent instrumentaire qui doit procéder à la vente :
L’article 68 LDF précise les autorités chargées de la vente des biens reformés de l’Etat et des Collectivités. Ce qui n’était pas prévu par l’ancien Code.
L’introduction du Guichet unique du Foncier :
L’article 90 LDF institue un guichet unique en vue de faciliter et simplifier les procédures domaniales et foncières et permettre aux usagers d’effectuer les formalités en un même lieu. Grâce à ce dispositif, le parcours de combattant lié à l’acquisition des documents fonciers sera un mauvais souvenir. Tous les acteurs de la procédure d’attribution des terrains vont être regroupés sur une même plateforme informatique pour diligenter les dossiers. Cela minimisera également les risques de corruption.
Le renforcement et l’adaptation de la publicité foncière aux réalités socioculturelles à travers l’introduction de tous les moyens modernes et coutumiers d’information :
L’article 120 prévoit de recourir aux moyens modernes et coutumiers d’information en matière d’immatriculation. Ainsi, les chefs de village, de quartier ou de fraction seront directement impliqués lors l’immatriculation des parcelles terrains situées dans leur ressort. Ce qui légitimera davantage les propriétés foncières et permettra d’éviter les spoliations des terres villageoises et autres.
La réduction du délai de maintien de l’affiche du placard dans les procédures d’immatriculation d’immeubles de soixante (60) à trente (30) jours :
L’article 124 prévoit un délai de 30 jours pour la révélation des droits des tiers au lieu de 60 jours prévus dans l’ancienne législation. Cela permet de raccourcir de 30 jours le temps d’obtention d’un titre foncier ; cela était une demande forte des investisseurs.
L’introduction de la notion de régularité dans les procédures de création du titre foncier afin qu’il soit juridiquement valide :
Le titre foncier ne vaut que si les procédures sont respectées. Tout titre irrégulier peut faire l’objet de la censure du Tribunal administratif (article 143) et les auteurs et leurs complices seront sanctionnés. Ainsi, le principe de l’inattaquabilité du titre foncier, bien que réaffirmé, ne couvre pas les cas de titres fonciers irrégulièrement créés, qui peuvent être attaqués et annulés.
L’énonciation claire de la faculté accordée à l’Etat et aux Collectivités d’exercer l’action récursoire contre leurs agents en cas de faute intentionnelle :
L’Etat et les Collectivités peuvent se retourner contre leurs propres agents en cas de faute dans l’établissement des titres fonciers (article 146 alinéa 3). Cela permet d’éviter des abus de pouvoir de certains agents publics en matière foncière.
L’énumération des actes constitutifs de stellionat et la fixation du quantum de la peine et le montant de l’amende :
L’article 244 LDF détermine les actes constitutifs de l’infraction de stellionat et les peines. L’ancienne législation renvoyait au Code pénal pour la sanction du stellionat. Mais le Code pénal ne prévoit pas une telle infraction. Ce qui fait que nombre d’actes échappaient à la sanction. Désormais, les manquements aux règles et procédures de gestion foncière sont réprimés par des dispositions concrètes. Cela permet également de dissuader toute personne d’agir à l’encontre des textes régissant le foncier.
La validité de titres provisoires déjà établis jusqu’à leur transformation en titre foncier :
Les titres provisoires de concessions rurales, les permis d’occuper, les lettres d’attribution, les concessions urbaines/rurales à usage d’habitation, délivrés avant l’adoption de l’ordonnance n°2020-014/PT-RM du 24 décembre 2020, restent valides jusqu’à leur transformation en titre foncier. Ainsi, ceux qui détiennent des documents fonciers avant la nouvelle loi continueront de jouir de leurs parcelles et pourront demander les titres fonciers de leurs parcelles de terrain.
Enfin, la loi domaniale et foncière détermine les règles applicables en matière domaniale (domaines de l’Etat, des Collectivités) et en matière foncière (règles applicables à la propriété de la terre).
Issa Baradian TRAORE