Comme tout système, les systèmes d’élevage sont constitués de composantes interactives et sont catégorisés selon des critères spécifiques. Sur la base de cinq de ces critères, Seré and Steinfeld ont identifié deux types et quatre sous-types de systèmes d’élevage dans quatre zones agroécologiques du monde entier : 1) élevage uniquement : 1a) sans terre ou 1b) en pâturage, et 2) systèmes mixtes (culture-élevage) : 2a) en zones pluviales ou 2b) en zones irriguées. Dans ces systèmes, l’élevage joue un rôle clé en interagissant avec les pâturages et les terres cultivées.
Les pratiques de culture et d’élevage peuvent préserver ou altérer le paysage, avec des effets potentiellement positifs ou négatifs. Les mauvaises pratiques peuvent menacer l’environnement et le climat. Souvent, les effets négatifs de l’élevage, comme on en a de nombreuses preuves, sont intuitivement associés à de grands nombres d’animaux et à des pratiques agricoles intensives et industrielles. Toutefois, la recherche indique également qu’un nombre trop faible d’animaux ou qu’une faible densité d’animaux peuvent être préjudiciables à l’environnement.
Les effets néfastes des systèmes d’élevage ne sont pas nécessairement dus à la présence des animaux eux-mêmes, mais plutôt à une gestion inadaptée qui perturbe l’équilibre de l’agroécosystème. Une des principales difficultés consiste à identifier les causes profondes néfastes aux systèmes agroalimentaires, y compris la production animale, et à s’y attaquer sans provoquer d’autres problèmes ou des problèmes plus graves.
Coup d’œil sur le changement climatique et la consommation de ressources naturelles
Sur les sept gaz à effet de serre (GES) visés par le Protocole de Kyoto, les principaux, émis par le secteur agricole, sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). En 2020, le système alimentaire mondial a été responsable de 31 pour cent de la totalité des GES émis par l’homme. La déforestation et la fermentation entérique dans le système digestif des ruminants sont les deux principales sources de telles émissions dans le système alimentaire ; elles représentent 36 pour cent des émissions totales de GES de ce système. On a estimé qu’à lui seul, en 2020, le secteur de l’élevage a produit 47 pour cent des émissions de GES du système alimentaire, et 14,5 pour cent des émissions totales de GES d’origine anthropique.
Étant donné que le méthane est un important GES dont le potentiel de réchauffement de la planète est supérieur à celui du CO2 et qu’il a une plus courte durée de vie dans l’atmosphère, le secteur de l’élevage est considéré comme un levier essentiel sur lequel agir pour rapidement réduire les émissions de GES du système alimentaire, comparativement à d’autres secteurs.
L’élevage et l’agriculture contribuent certes au changement climatique, mais ils sont également affectés par lui. Dans le cadre du scénario prudent prévoyant une augmentation de 1,5 à 2° C de la température, on estime que 5 pour cent de la production mondiale de bétail (comparativement à 8 pour cent pour les cultures) seront hors des limites de sécurité climatique d’ici 2090.
Si les températures augmentent de plus de 2° C d’ici 2090, 34 pour cent de la production animale mondiale (contre 31 pour cent pour les cultures) pourraient être menacés. Cela aurait essentiellement des conséquences pour l’Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi que pour l’Afrique subsaharienne, où de vastes espaces actuellement adaptés à l’élevage ne le seront plus.
L’élevage est souvent critiqué pour son utilisation intensive des terres, en concurrence avec les produits alimentaires cultivés pour la consommation humaine, son empreinte hydrique considérable et son impact sur la biodiversité. Toutefois, un examen approfondi montre que si l’élevage utilise environ la moitié des terres agricoles mondiales, il s’agit essentiellement de pâturages qu’il est difficile, voire impossible, de convertir en terres cultivées.
En outre, l’alimentation du bétail s’appuie essentiellement sur des aliments pour animaux non appropriés pour l’homme. De même, il est important de noter que plus de 90 pour cent de l’eau utilisée pour la production bovine est de l’eau de pluie, si bien que cette production dépend moins de l’irrigation que de nombreuses récoltes, par exemple celle des fruits à coque. Il existe des exemples où l’élevage et les cultures entrent en concurrence pour l’utilisation des terres, mais les questions de l’eau et de l’efficacité de l’utilisation des terres sont complexes.
Ces exemples montrent qu’il n’est pas simple d’aborder la question du rôle de l’élevage dans l’agriculture. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que l’élevage n’a pas seulement une fonction extractive dans les systèmes agricoles et alimentaires : il contribue positivement au système agroalimentaire et à la société de diverses façons.
Un paramètre ayant une importante influence sur les moyens d’existence, la nutrition, la santé et les écosystèmes
L’élevage offre un large éventail de produits et services à l’homme. À l’échelle mondiale, environ un milliard de personnes dépendent directement de l’élevage pour leurs moyens d’existence et leur sécurité alimentaire. Les animaux et les produits qui en sont tirés peuvent être vendus, échangés, voire utilisés comme garantie pour des emprunts et du crédit ; ils constituent une sorte d’épargne, d’assurance et de sécurité sociale.
Certains produits et services liés à l’élevage sont monétarisables alors que d’autres, par exemple l’atténuation des risques pour les agriculteurs – notamment dans le Sud global – sont plus difficiles à évaluer.
L’élevage est la troisième plus importante source de revenus pour les agriculteurs du monde entier, après la culture et les activités non agricoles. Pour les femmes des pays en développement, notamment celles qui vivent dans la pauvreté, un petit élevage est un atout essentiel car il leur permet de gagner de l’argent. On estime que sur la planète les femmes constituent les deux tiers des 600 à 800 millions d’éleveurs pauvres.
En de nombreux endroits, les femmes n’ont pas accès à des garanties traditionnelles telles que les titres de propriété foncière, si bien que l’élevage est, pour elles, un moyen de s’émanciper économiquement et socialement.
En plus de fournir des produits et services matériels, les animaux ont une grande importance religieuse et culturelle dans nos vies quotidiennes. Nous le constatons dans nos habitudes alimentaires, nos rituels et cérémonies lors d’importantes étapes de la vie telles que les naissances, l’entrée dans l’âge adulte, les mariages, voire les funérailles. Ces dimensions culturelles peuvent parfois freiner les efforts visant à apporter des changements à l’ensemble du système.
Il y a des millions d’années que les humains consomment des aliments d’origine animale. À l’échelle mondiale, les animaux d’élevage fournissent actuellement 18 pour cent des calories et 39 pour cent des protéines consommées. La consommation d’aliments d’origine animale varie d’une région à l’autre. Avec 69 kg/personne/an, la consommation de viande est la plus forte dans les pays industriels à revenu élevé, et la plus faible dans les pays en développement (26,2 kg).
Grâce à la forte densité, composition et biodisponibilité de leurs nutriments, les produits alimentaires d’origine animale conviennent bien aux personnes ayant des besoins alimentaires spéciaux et une capacité limitée de consommation alimentaire, comme c’est le cas des femmes enceintes, des jeunes enfants et des personnes âgées. Toutefois, la consommation excessive d’aliments de source animale, surtout lorsqu’il s’agit de produits transformés, contribue à la malnutrition et aux problèmes de santé tels que l’obésité, le risque accru de maladies cardio-vasculaires et certaines formes de cancer.
Vivre à proximité d’animaux et consommer des produits d’origine animale présentent également d’autres risques pour la santé, par exemple les maladies zoonotiques et les maladies d’origine alimentaire. Par contre, avoir des animaux, y compris du bétail, peut avoir un effet bénéfique sur la santé mentale.
Nous sommes confrontés à un problème mondial : réduire la consommation d’aliments d’origine animale dans les zones où ils sont en excès par rapport aux recommandations nutritionnelles, et l’augmenter là où il en manque. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) propose plusieurs moyens d’atteindre ces objectifs, parmi lesquels une réduction de la consommation d’aliments d’origine animale et une amélioration de la productivité grâce à l’élevage d’animaux plus producteurs.
Le bétail contribue directement à la production végétale de différentes manières. Premièrement, les animaux produisent du fumier qui enrichit le sol. Deuxièmement, dans de nombreux pays du Sud global, le bétail joue un rôle essentiel comme animaux de trait utilisés pour cultiver la terre. Ces contributions directes sont essentielles pour l’agriculture durable.
Les animaux présentent également un avantage indirect : l’adoption du pâturage temporaire dans la rotation des cultures améliore les rendements. Cette contribution est souvent oubliée lorsqu’on préconise une alimentation plus axée sur les végétaux.
Au-delà des systèmes de culture, les animaux d’élevage ont également un impact positif sur l’environnement. Les prairies naturelles, qui couvrent une partie considérable des terres agricoles mondiales, stockent des quantités considérables de carbone. Une bonne gestion des pâturages adaptée aux conditions locales et tenant compte de facteurs tels que la densité d’occupation, l’élevage d’espèces et de races adaptées, et le calendrier, peut empêcher le surpâturage, qui conduit à la désertification, ou le sous-pâturage, qui peut favoriser l’embroussaillement et le risque d’incendies.
Lorsqu’elles sont bien gérées, les prairies naturelles offrent d’importants services écosystémiques supplémentaires tels que la régulation des eaux, la réduction de l’érosion et la prévention des inondations, ainsi que des conditions favorables pour une flore et une faune variées.
Les compromis dans les systèmes d’élevage
Les aspects multiformes de la production de bétail expliquent sa complexité inhérente et les compromis à faire pour résoudre les problèmes.
Pour cela, il est indispensable d’adopter une approche systémique. Voici quelques exemples d’approches systémiques actuellement utilisées, notamment dans les pays du Sud global, et de plus en plus dans le monde entier, pour s’y retrouver dans la complexité de la production animale.
Promouvoir les systèmes intégrés d’élevage et de culture, ainsi que l’économie circulaire
Dans les pays du Sud global, de nombreux petits exploitants agricoles continuent de pratiquer les systèmes intégrés d’élevage et de culture. Ces systèmes, autrefois courants dans le Nord global jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sont poussés à s’industrialiser en raison de la demande alimentaire croissante, notamment pour des produits d’origine animale, surtout dans les pays du Sud global. Pour améliorer l’efficacité des systèmes alimentaires, nous pouvons rétablir un lien entre production végétale et production animale au niveau de l’exploitation agricole, ainsi qu’au niveau local et régional. En utilisant les résidus de culture et les sous-produits de l’industrie agroalimentaire comme aliments pour animaux ou le fumier comme engrais et pour la production d’énergie, ainsi qu’en optimisant les pratiques d’alimentation naturelle, nous pouvons simultanément aider les humains et respecter les limites planétaires. L’adoption (à nouveau) d’une approche circulaire et la relance des systèmes d’agroforesterie sont des pistes prometteuses pour la transformation durable des systèmes alimentaires.
« Une seule santé »
Le concept « Une seule santé » défendu par l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) a une approche systémique. Il créé des passerelles entre les disciplines, implique diverses parties prenantes et intègre diverses dimensions de la gestion de l’élevage en tenant compte de leur incidence sur la santé des êtres humains, des animaux et de l’environnement. Cette approche a été utilisée avec succès dans de nombreux pays pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens (RAM) chez les humains, les animaux et dans l’agriculture.
Prise en compte des coûts réels
La prise en compte des coûts réels des aliments offre un moyen de modifier les habitudes d’achat et de consommation d’aliments. Elle consiste à évaluer et monétiser la totalité des coûts liés à la production et la consommation d’aliments : impacts économiques, environnementaux, sociaux et sanitaires. Toutefois, la prise en compte des coûts réels a ses limites, notamment dans la précision de l’évaluation des stocks de carbone et l’accumulation de matières organiques dans le sol.
La collaboration est essentielle
La transformation de notre système alimentaire est essentielle pour la résilience, la durabilité et l’inclusivité et doit respecter les limites planétaires et les écosystèmes. Simultanément, nous devons accroître l’efficacité du système alimentaire afin d’améliorer et de garantir la sécurité alimentaire dans le monde. Parmi les composantes essentielles, le secteur de l’élevage – parallèlement à l’agriculture, la transformation des aliments et la logistique – joue un rôle essentiel. Il contribue aux moyens d’existence, à la santé et à l’alimentation des êtres humains et des écosystèmes.
Il n’en reste pas moins des problèmes à résoudre. Nous devons aller au-delà des schémas et des approches simplistes actuels en sachant qu’il y aura d’inévitables compromis à faire. Pour avoir une compréhension systémique du système alimentaire – ses compromis et interdépendances – les entités publiques et privées doivent y consacrer des efforts de recherche et de développement. Ces efforts doivent essentiellement porter sur les systèmes de production et les chaînes d’approvisionnement durables applicables dans un contexte donné.
La demande du marché est une force décisive. Il est essentiel de sensibiliser les consommateurs aux questions sanitaires, sociales, économiques et environnementales. Des mécanismes de marché prévisibles et justes s’inscrivant dans des cadres réglementaires transparents responsabilisent tous les acteurs du système alimentaire. Il faut pour cela que les entités publiques et privées prennent des mesures coordonnées.
La collaboration entre les diverses parties prenantes est un élément clé. Aucun acteur ne peut, à lui seul, transformer les systèmes alimentaires. Ce sont les plateformes, initiatives et réseaux plurilatéraux qui, à l’échelle mondiale, entraînent le changement. Ces plateformes doivent faire des recommandations dont doivent s’inspirer les directives mondiales, les politiques nationales, les normes industrielles et les programmes d’enseignement. Mais ce qui a le plus d’importance, c’est le contexte politique. Ce sont les structures de gouvernance favorables, le démantèlement des silos sectoriels et les prises de décisions s’appuyant sur des faits qui alimentent la transformation du système alimentaire. Ensemble, nous pouvons créer des systèmes alimentaires et faire des progrès durables vers la réalisation des 17 objectifs de développement durable.