Les témoignages entendus à ce jour ne sont qu’un petit échantillon de plus de 28 600 dépositions reçues par la CVJR, dont la moitié par des femmes et un nombre important d’enfants.
Dans le but de promouvoir la reconnaissance nationale aux victimes et leur rendre leur dignité, la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) a organisé, le samedi 11 juin 2022 au Centre International de Conférence de Bamako (CICB), sa cinquième audience publique non judiciaire, sous le thème « les femmes victimes de violences sexuelles et les enfants victimes de conflits ».
Nous nous proposons les récits des 12 victimes.
Victime N°1
En 2012, pendant l’occupation de la ville de Gao, des hommes armés ont fait irruption dans notre maison. Ils ont ligoté tous les hommes (mon mari, mon fils de 15 ans, mon beau-frère et un colocataire) et violé toutes les femmes à tour de rôle sous les yeux impuissants des hommes. Cet incident s’est passé le même jour où le consulat d’Algérie a été attaqué à Gao. Moi j’ai été violée en face de mon fils par 7 hommes sans pitié. Depuis ce jour, mon mari a disparu et jusqu’aujourd’hui la famille n’a aucune nouvelle de lui. Mon fils s’est exilé dans un pays voisin et qui refuse de me voir et parler au téléphone et mon beau-frère n’ayant pas pu supporter est décédé́ après… A un moment de la vie, j’ai tenté de me suicider car je n’ai plus d’enfants, plus de mari…Je ne souhaite pas que de tels actes inhumains et dégradants arrivent à d’autres femmes. Aujourd’hui, je cherche des soutiens pour subvenir aux besoins de la famille que je prends en charge et surtout pour surmonter cette épreuve qui a fait basculer ma vie.
Victime 2
Juste après mon divorce en 2012 et pendant l’occupation de Tombouctou par les djihadistes, j’ai été mariée de force à un responsable djihadiste . Ce dernier est venu m’enlever de force avec 07 hommes armés, laissant dernière moi ma vielle mère malade et mon bébé́ de six mois. Mon mariage forcé a duré́ six mois et j’ai eu un enfant avec lui et qui a 09 ans aujourd’hui. Mon enfant est victime de stigmatisation à l’école. J’étais intimidée, car il dormait avec moi étant armé. A chaque fois que ce dernier sortait, j’étais gardée par deux hommes armés. J’ai été tellement stigmatisée qu’à mon accouchement personne n’est venue me saluer. Je suis tombée gravement malade après… Je souhaite quitter ma résidence actuelle et aller m’installer ailleurs…
Victime 3
A l’âge de 15 ans, j’ai été victime de viol en 2012 à Gao alors que j’avais mes menstrues. Après cet acte inhumain, j’ai attrapé́ des infections sexuellement transmissibles et mes trompes ont été bouchées. Suite à cela, je ne suis plus en mesure d’enfanter. Aujourd’hui, j’ai besoin d’une prise en charge médicale…
Victime 4
En 2012, j’étais commerçante. Mon calvaire a commencé́ le jour où un de mes clients m’avait proposé́ de lui livrer des marchandises composées de tubercules et de tissus. Ainsi, arrivée sur le lieu de la livraison, ledit client s’est éclipsé́ me laissant entre les mains de ses compagnons qui m’ont contraint d’entrer sous la tente. Suite à mon refus, j’ai été grièvement blessée au bras avec un couteau et des hommes sont venus de partout pour me faire entrer de force sous la tente. Ils m’ont violé́ à tour de rôle. J’ai pu compter onze jeunes d’environ 15 ans avant de m’évanouir. J’ai été leur esclave sexuelle pendant 04 jours et pouvait recevoir 05 hommes le soir et une dizaine la journée. J’étais privée d’eau et de nourriture. C’est avec l’aide de leur chauffeur, que j’ai pu m’échapper dans un état pitoyable… Je ne souhaite pas que d’autres femmes subissent le même sort et j’ai besoin de soutien pour surmonter cette épreuve atroce.
Victime 5
Un jour, en partant au marché́ pendant l’occupation de la ville de Tombouctou, j’ai été enlevée de force par 03 hommes armés qui m’ont emmenée dans un endroit inconnu et délabré́. J’ai été violée par plusieurs hommes pendant deux jours et une nuit. J’ignore encore le nombre de gens qui m’ont touchée. Je suis tombée malade après.Suite à ce viol collectif, mon mari m’a répudiée. J’ai perdu aussi mon petit commerce à cause de la stigmatisation.
Victime 6
Je suis partie en aventure à Kidal depuis 1995 et me suis mariée là-bas. Je suis restée jusqu’aux évènements de 2012. Après le massacre d’Aguelhok, mon mari avait décidé́ que sa famille retourne à Gao. Soudain, des hommes armés ont fait irruption, puis ils nous ont dépossédé de nos biens en disant que ces biens ont été gagnés à Kidal et resteront à Kidal. J’ai été agressée violemment par les assaillants lorsque je me suis opposée à l’enlèvement de ma moto Jakarta. A défaut de me violer, ils ont introduit le bout de leur fusil dans mon organe génital et l’ont retiré́ avec force. Ce qui a provoqué́ la déchirure d’une partie de cet organe. Ma famille a fini par quitter Kidal pour la région de Ségou. Aujourd’hui, je souffre encore de la stigmatisation de la part de mes coépouses.
Victime 7
J’étais partie avec d’autres femmes en brousse, à la recherche des feuilles pour faire les nattes. Sur le chemin de retour, nous avons rencontré́ des hommes armés qui nous ont menacées avec des armes pour qu’on s’arrête. Ils ont ensuite bandé nos yeux et nous ont violées par la suite. J’étais enceinte de jumeaux et dans un état très avancé. Par la suite j’ai fait une fausse couche après cet incident et je suis tombée gravement malade. Malgré́ cet acte inhumain, j’ai eu une grande capacité́ de résilience. Mon mari étant aveugle, j’ai besoin de soutien pour prendre en charge ma famille.
Victime 8
Durant la crise de 2012, j’ai été violée en même temps que ma fille mineure par trois personnes. Ma fille est tombée gravement malade et souffre encore de traumatisme à cause de ce viol collectif. Suite à cet acte ignoble, ma famille a été obligée de quitter Tombouctou pour Bamako. Mon mari a perdu aussi son travail. Nous vivons dans la précarité totale. Je ne souhaite pas que d’autres femmes subissent ce genre de violation.
Victime 9
En 2015 sur la route de Tombouctou à la quête du travail, j’ai été enlevée de force par 07 hommes dont 06 de teint clair. Ils m’ont emmenée loin des autres passagers et m’ont violé́e à tour de rôle avant de m’abandonner dans un état déplorable. Le chauffeur est parti me chercher pour m’emmener auprès des autres. A cause de ce viol collectif, j’ai perdu ma virginité́. Ainsi, arrivée à Tombouctou, j’ai été acceptée par une femme comme aide-ménagère. Un mois après, il m’a été révélé́ que je suis en début de grossesse. Les voisins demandaient à ma patronne de me libérer sous prétexte qu’on ne garde pas une aide-ménagère enceinte. Mais, ma patronne n’a pas accepté́ cela et m’a soutenue pendant ma grossesse. J’ai bénéficié́ de ce soutien même après mon accouchement. L’enfant est une fille qui a 06 ans aujourd’hui. Ce qui m’angoisse aujourd’hui, c’est le fait que je ne peux pas retourner dans mon village. À la date d’aujourd’hui, je préfère la mort que la honte. Ma propre mère m’a a bannie, mon fiancé ne veut plus de moi. J’ai besoin de vos soutiens et conseils.
Victime 10
A 11 ans, j’ai été victime d’enrôlement de la part d’un groupe armé dans la région de Tombouctou. A l’époque, il n’y avait plus d’école à cause de la crise. Ce groupe armé envoyait ses éléments en véhicule pour sensibiliser les enfants afin qu’ils adhèrent à leur cause. Une fois adhérées, les jeunes recrues bénéficiaient d’une formation militaire. Je suis resté dans le mouvement pendant deux ans. Lorsque ma mère a appris cette nouvelle alors qu’elle était réfugiée en Mauritanie, elle est vite rentrée à Tombouctou pour mener des démarches en vue d’obtenir ma libération. Ainsi, après plusieurs tentatives et avec l’aide de certains notables j’ai été libéré́. Je suis ensuite retourné à l’école après avoir perdu 03 années scolaires. Je souhaite que l’État assure ma sécurité́, qu’il récupère toutes les armes proliférées, que l’État finalise le processus DDR et qu’il prévienne la non récurrence.
Victime 11
Je suis un enfant qui a été victime d’une balle perdu alors que j’étais en train de jouer au ballon avec mes amis. Ma grand-mère chez qui j’habitais a piqué une crise et est décédée par la suite. Ma plaie a été infectée à cause du retard accusé dans mon transfert vers un hôpital régional. C’est pourquoi, une de mes jambes a été amputée. Je marche aujourd’hui avec une béquille. J’ai abandonné́ l’école à cause de la stigmatisation et mon rêve de devenir footballeur s’est envolé. J’ai besoin de prothèse afin que jepuisse reprendre le chemin de l’école et jouer au ballon avec mes amis.
NB : Le témoignage de la victime (enfant mineur) a été enregistré́ et diffusé dans la salle selon les règles édictée par UNICEF .
Victime 12
A 16 ans, j’ai subi un viol collectif et à deux reprises de la part d’un groupe armé en 2012 dans la région de Tombouctou. Suite à ces viols, j’ai été contrainte de quitter mon village pour Ségou, après avoir perdu ma virginité́ et l’annulation de mon mariage. Aussi, j’ai été flagellée pour n’avoir pas porté de voile. Ainsi, je suis tombée gravement malade après ces évènements douloureux et j’ai été rejetée par ma famille. J’ai besoin de votre soutien pour pouvoir surmonter cette dure épreuve. Je demande à l’État de prendre des dispositions afin que d’autres femmes ne subissent pas le même sort.
Une société ingrate envers les victimes
Le Président de la CVJR, à l’écoute des témoignages des victimes, dira qu’il y a un dénominateur commun dans toutes ces violations, c’est la réaction de la société malienne qui stigmatise et qui augmente les douleurs. C’est une double peine :indexées, marginalisées même par leurs propres familles. Ce qui explique que les victimes n’ont plus goût à la vie. De 2012 à aujourd’hui, plusieurs de ces victimes ont vu leurs vies basculer du jour au lendemain, ayant subi des violences basées sur le genre ont perdu non seulement la confiance en elles, mais continuent à subir des stigmatisations et surtout l’impact de ces drames sur les enfants. La blessure visible est plus facile à cicatriser que la blessure invisible et surtout si celle-ci se trouve sur le cœur. De tous les cauchemars, celui fait étant éveillé est le pire de tous. Et pourtant elles n’ont pas souhaité que cela leur arrive. Le pire dans tout ça, c’est que ces victimes vivent toutes dans la précarité, elles ont besoin du soutien de tous et la prise en charge médicale et psychologique doit être obligatoire par l’État. Leurs cris du cœur doivent avoir l’attention et la pleine solidarité du pays tout entier. Nous invitons l’ensemble de nos concitoyens à œuvrer ensemble autour des victimes et de leurs familles pour les soutenir et les accompagner afin de faciliter leur reconstruction.
Bokoum Abdoul Momini/maliweb.net
Issa Baradian TRAORE/ Le Canal