Beaucoup sont dans la confusion et cet article permettra certainement à mieux appréhender la question qui dans les débats publics est distille une confusion totale par méconnaissance Ou par manipulation volontaire
Mali / “Fonds de souveraineté” : comment plus de 54 milliards de FCFA ont été engloutis de 2012 à 2020 sans base légale et sans justificatifs
La réticence voire le refus d’aborder publiquement la question de la rémunération des Hauts Dirigeants du pays est sans aucun doute un héritage de la colonisation française car, dans d’autres démocraties occidentales, tout citoyen peut avoir accès jusqu’aux notes de frais de voyages des ministres.
Et pourtant, chez nous, ces rémunérations sont fixées par des lois et règlements, qui sont consultables par le public dès lors qu’ils font l’objet de publication dans le Journal Officiel de la République du Mali. Ainsi, comme pour tous les agents publics, il est facile de se faire une idée de ce qu’est la rémunération du Président de la République (loi no 2012-11 du 24 février 2012) d’un ancien président de la République (loi no 2012-12 du 24 février 2012) d’un premier ministre (ordonnance no 02-050/P-RM du 4 juin 2002) et d’un ministre (ordonnance no 02- 051/P-RM du 4 juin 2002).
Ainsi, un rapide calcul permet de savoir que le président de la République a un salaire mensuel d’un peu plus de 6 millions de francs CFA, un ancien président une pension d’un peu plus de 4 millions de francs, un premier ministre un peu moins de 2 millions de CFA plus des avantages en nature, un ancien premier ministre une indemnité mensuelle de 700 000 F CFA en plus d’avantages en nature, un ministre environ 900 000 CFA par mois et un ancien ministre 0 franc et aucun avantage en nature.
La grande différence entre, d’un côté, les salaires du président et la pension d’un ancien président et, de l’autre, ceux du premier ministre, des anciens premiers ministres et ministres, provient du fait que la révision des rémunérations des hauts dirigeants, entamée en février 2012 par le Président Amadou Toumani Touré, s’est arrêtée aux présidents et anciens présidents, car le changement de régime est intervenu en mars 2012. Depuis, ni le gouvernement de Transition de 2012-2013, ni ceux du régime du Président Ibrahim Boubacar Kéita n’ont pu achever cette révision.
La question que l’on pourrait se poser est de savoir si ces rémunérations sont dans les ” normes ” ? Difficile de répondre à cette question, car on pourrait comparer les salaires mais il faudrait ensuite les comparer au revenu moyen par habitant du pays.
A titre de comparaison, le Président français touche 15 409 euros, soit 10,1 millions de F CFA, représentant 7,5 fois le revenu mensuel moyen français, alors que la rémunération du président du Mali représente 630 fois le revenu mensuel moyen malien.
Il faut aussi noter que des agents publics, notamment des responsables d’Autorités administratives indépendantes sont nettement mieux payés qu’un ministre malien. Les dernières décisions au profit des magistrats font que ceux-ci sont aussi mieux payés qu’un ministre.
Nous parlons bien là de rémunération, c’est-à-dire ce que la Nation accorde à ses hauts dirigeants comme rétribution pour les missions qu’ils accomplissent.
Mais là où la confusion a tendance à s’installer c’est lorsqu’on dit que le président touche 150 millions de francs CFA par mois, le premier ministre et le président de l’AN 75 millions ! (Renseignement pris les chiffres suscités sont plutôt des montants trimestriels).
De quoi parle-t-on ?
Il semble que ces hauts dignitaires et, probablement, d’autres présidents d’institutions disposent de ” fonds dits de souveraineté ” qu’ils peuvent dépenser à leur guise ! Et donc assimilables à des rémunérations !
Or, aucune disposition des lois de finances ni des règlements de la comptabilité publique ne traite de fonds de souveraineté, à fortiori de dépenses non soumises aux contrôles.
En termes clairs, il n’y a pas de lignes budgétaires ” fonds de souveraineté ” et toute dépense budgétaire est soumise aux contrôles à priori et à postériori administratifs, juridictionnels et parlementaires. Autrement dit, toute dépense budgétaire doit être comptabilisée et justifiée.
Si tel est le cas, d’où viendrait cette pratique – si tant est qu’elle existe- qui consisterait à mettre à la disposition de présidents d’institutions des sommes d’argent qu’ils peuvent dépenser sans justification ?
En prenant l’exemple de la France, chacun se rappelle que Lionel Jospin, premier ministre (de cohabitation !) de l’époque avait mis fin à cette pratique, car il avait constaté des dérives dans l’usage qui était fait de ces ” fonds de souveraineté “, notamment pour des besoins personnels ! Aussi bien à la primature qu’à la présidence !
En principe, ces fonds publics ne sont destinés, ni à compléter des rémunérations ni à s’offrir des biens et services à usage personnel. Comme tout fonds public, ils sont destinés à financer des dépenses publiques et pour l’intérêt général. Ayant constaté que ce n’était pas le cas, Jospin les a tout naturellement supprimés. Il reste que certaines dépenses au profit des renseignements généraux (comme le paiement des sources d’information) ne peuvent pas suivre les procédures budgétaires classiques. Mais elles restent des dépenses publiques enregistrées de manière spécifique et soumises à un contrôle particulier.
Qu’en est-il chez nous ?
Dernièrement, des réseaux sociaux étaient inondés d’informations relatives à ce que devrait gagner le président de transition (entendez ses fonds de souveraineté !), à savoir 150 millions de francs CFA par mois. Lors de débats télévisés entre Hommes politiques, l’on a entendu des propositions du genre ” le Président de Transition devrait diminuer son salaire d’au moins un tiers pour tenir compte de la situation du pays ” et, comme pour faire écho à cette proposition, une annonce était faite dans les réseaux sociaux pour dire que le président aurait renoncé à 50 millions au profit du vice-président. Si c’était vrai – et à présent, il n’y a pas eu de démenti- cela voudrait dire que les précédents présidents d’institutions ont eu droit à ces fonds de souveraineté sans préjudice de l’usage qu’ils en ont fait et que, donc, la même pratique continue !
Ainsi, s’il n’y a pas de lignes budgétaires ” fonds de souveraineté ” dans les lois de finances, s’il n’y a pas de lois ni décret fixant les montants desdits fonds de souveraineté et que des sommes d’argent sont utilisées au titre de dépenses de souveraineté, quel en est donc le modus operandi ?
Une lecture attentive des budgets des Institutions fait apparaitre une rubrique ” autres dépenses ” où sont inscrits des crédits qui ne peuvent être classés dans les rubriques habituelles. Cela n’en fait pas moins des dépenses publiques soumises aux mêmes règles de la comptabilité publique que toutes les dépenses publiques.
Cependant, il semble que c’est sur ces rubriques que des sommes d’argent sont mises à disposition des présidents d’institutions sans obligation pour elles d’en justifier l’usage. J’en ai eu la confirmation auprès de Chefs d’institutions qui ne sont plus en poste mais qui m’ont juré la main sur le cœur n’avoir jamais utilisé cet argent à des fins personnelles ! Mais comment en avoir la certitude, puisqu’il n’y a aucune comptabilité tenue ni justification ?
Quels sont les montants en cause ?
Le tableau suivant en donne la mesure :
Evolution de la nature “Autres Dépenses” dans le budget des Institutions de 2012 à 2020 (en milliers de FCFA)
Comme l’on peut le constater, les sommes en cause ne sont pas négligeables et augmentent d’année en année. De 2,6 milliards de francs CFA en 2012 l’on est passé à 10,8 milliards en 2019 et 2020 !
Si elles ont été utilisées à des fins personnelles, elles devraient faire l’objet d’ordres de recette sur les personnalités qui se sont ainsi rendues coupables de détournement de fonds publics, car il ne s’agirait ni plus ni moins que de cela !
Et comme de telles pratiques ne sont possibles qu’avec la complicité active d’agents chargés de l’ordonnancement et de la liquidation des dépenses, leurs complices aussi devraient rendre des comptes.
Il urge de réduire de telles pratiques en limitant les montants, les donneurs d’ordre et l’utilisation des ” autres dépenses ” :
1. Elles devraient être réservées aux dépenses qui doivent être discrètes (aux fins de renseignement par exemple) ; dans un tel contexte, on voit mal l’affectation d’un tel fonds à la Cour Suprême, au Haut Conseil des Collectivités ou même la Primature et l’Assemblée nationale, les services de renseignement dépendant de la Présidence. A quoi pourrait servir par exemple un fonds de souveraineté du président de l’Assemblée nationale si ce n’est entretenir un réseau clientéliste, à supposer qu’il ne s’en serve pas comme complément de revenus ? On pourrait dire la même chose des autres Chefs d’institutions autres que le président.
2. Elles doivent être comptabilisées et soumises à un contrôle particulier (par la Cour des comptes par exemple)
3. Elles ne devraient en aucun cas être utilisées comme des rémunérations du président, du vice-président ou du premier ministre, ni même à des fins de promotion personnelle comme des cadeaux personnalisés.
Il est, en effet, grand temps de mettre fin à cette forme d’opacité dans la gestion des affaires publiques au sommet de l’Etat si l’on veut restaurer la confiance entre le citoyen et ses institutions. Tout ce climat délétère de revendications procède de cette opacité qui donne l’impression que les Dirigeants demandent des sacrifices aux agents publics ordinaires alors qu’eux n’en donnent pas l’exemple.
Le Mali a adopté en 2015 une politique nationale de transparence dans la gestion des affaires publiques (et a ratifié le code de transparence de l’UEMOA) mais dont les instruments de mise en œuvre tardent à être mis en place (loi, institution de mise en œuvre, plateforme électronique permettant aux citoyens d’avoir accès aux informations sur la gestion des affaires publiques). Tout ceci a été initié sous Oumar Tatam Ly et poursuivi sous Moussa Mara avant d’être rangé dans les tiroirs plus tard ! A l’époque, le Mali était sous la bonne voie pour adhérer à ” l’Open Government Partnership “, qui est une initiative des Nations Unies, lancée en 2011 pour encourager les pays à pratiquer une gouvernance transparente et ouverte au public (exactement ce qui est annoncé dans le document de politique nationale de transparence du Mali !).
Quasiment tous les pays voisins du Mali ont été admis à l’OGP parce que remplissant les critères d’adhésion qui sont, entre autres, la transparence dans la gestion des finances publiques, l’accès du public à l’information, la divulgation d’actifs et la participation des citoyens à l’action publique (un seul voisin a vu sa candidature recalée, faute de plan d’action de mise en œuvre).
Il est grand temps d’appliquer ce que nous avons adopté et de passer des belles paroles aux actes !
Mamadou Namory TRAORE
Ancien Ministre