La remise en cause du titre foncier constitue une atteinte au droit de propriété et une violation de l’article 169 du CDF. Aucun droit conféré par un permis d’occuper, une concession rurale ou une lettre d’attribution ne saurait être opposable au titre foncier.
Texte (pseudonymisé)
I – Faits et Procédure :
Par assignation en date du 18 juin 2013, les héritiers de feu C. représentés par le sieur B. saisissait le Tribunal Civil de Kati aux fins d’annulation d’acte administratif de cession de titre foncier contre le sieur X. représentant les héritiers de feu A..
Cette juridiction, par décision n°507 du 5 août 2013 déclarait l’assignation des héritiers de feu B. irrecevable.
Sur appel des héritiers contre ce jugement, la Cour d’Appel de Bamako, par arrêt n°833 du 29 octobre 2014 infirmait le jugement entrepris ; statuant à nouveau : annulait l’acte administratif de cession n°110737/MLAFU-DNDC du 11 mai 2011 portant cession du titre foncier n°48680 à A., ainsi que la demande n°1343/CKTI-Dom accordant le titre provisoire et déboutait les intimés de leur demande.
C’est cet arrêt qui fait l’objet du présent pourvoi.
II – Exposé des moyens du pourvoi :
Les demandeurs au pourvoi, sous la plume de son conseil Maitre Mamadou Lamine TRAORE invoquent au soutien de leur recours un moyen unique de cassation tiré de la violation de la loi divisé en trois branches, à savoir la violation de l’article 169 du Code Domanial et Foncier (1ere branche), la violation de l’article 171 nouveau de la loi n°001 du 10 janvier 2012 portant modification de l’ordonnance n°00-027-P-RM du 22 Mars 2000 portant Code Domanial et Foncier, modifiée et ratifiée par la loi n°02-008 du 12 Février 2012 ( 2ème branche) et la violation des règles de compétence d’attribution (articles 7 et 8 de la loi n°94-006 AN-RM du 18 Mars 1994 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs ( 3ème branche) ;
*Du moyen unique de cassation tiré de la violation de la loi :
1ère branche du moyen tiré de la violation de l’article 169 du Code Domanial et Foncier :
En ce que l’article 169 du Code Domanial et Foncier dispose : « le titre foncier est définitif et inattaquable. Il constitue devant les juridictions maliennes le point de départ unique de tous droits réels existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation. ». Que dans le cas d’espèce, il est établi et constant que les demandeurs sont titulaires d’un titre foncier sur la parcelle litigieuse tandis que les défendeurs n’exhibent aucun titre. Que l’arrêt infirmatif attaqué a manifestement violé les dispositions l’article 169 sus- évoqué qui confère au titre foncier le caractère définitif et inattaquable et seul et unique point de départ de tout droit sur la parcelle en cause. Que c’est également en violation manifeste du texte susvisé que les juges d’appel ont procédé à l’annulation de l’acte de cession du titre foncier n°48680.
Qu’il s’ensuit que c’est à tort que l’arrêt attaqué a procédé à l’annulation de l’acte administratif de cession d’un titre foncier sur fond d’appréciation erronée de titres provisoires antérieurs à la création du titre foncier et s’expose en conséquence à la censure pour violation du texte susvisé.
2°) Sur la deuxième branche du moyen tiré de la violation de l’article 171 nouveau de la loi n°001 du 10 janvier 2012 portant modification de l’ordonnance n°00-27-P-RM du 22 mars 2000 portant Code Domanial et Foncier modifiée et ratifiée par la loi n°02-008 du 12 février 2012 :
En ce l’article 171 nouveau du Code Domanial et Foncier dispose : « les personnes dont les droits auraient été lésés par suite d’une immatriculation ne peuvent se pourvoir par voie d’action réelle, mais seulement en cas de dol par voie d’action personnelle en indemnité contre les auteurs présumés du dol… à l’exception de l’action personnelle ci- dessus indiquée, aucun droit coutumier, aucun droit conféré par un permis d’occuper, une concession rurale ou une lettre d’attribution n’est opposable à un titre foncier ».
Que cette disposition de loi a été violée par les juges d’appel qui dans leur motivation ont fait fi de l’existence du titre foncier du demandeur tout en épiloguant sur des lettres d’attribution antérieures à la création du titre foncier en cause. Qu’au regard de l’article 171 sus-évoqué, les juges d’appel ne pouvaient annuler l’acte de cession du titre foncier n°48680 au profit des défendeurs qui ne se prévalent que d’une lettre d’attribution, l’immatriculation d’un titre foncier annulant de facto tous les actes administratifs antérieurs relatifs à la parcelle immatriculée ( lettre d’attribution, concession rurale, titre provisoire, permis d’occuper ) qui sont censés avoir été purgés par la dite procédure. Qu’il en résulte que les défendeurs sont irrecevables en leur demande et que les juges d’appel en décidant comme ils l’ont fait ont violé le texte visé au moyen et expose leur décision à la censure.
3°) Sur la troisième branche du moyen tiré de la violation des règles de compétence d’attribution (articles 7 et 8 de la loi n°94-006-ANRM du 18 mars 1994 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs :
En ce qu’il ressort des dispositions des articles 7 et 8 du texte susvisé que le tribunal administratif est seul juge de droit commun du contentieux administratif qui connait des recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre les décisions des autorités administratives, régionales ou locales, des recours en interprétation et en appréciation de légalité de ces décisions, des litiges d’ordre administratif relevés à l’occasion d’un acte passé au nom du gouvernement ou ceux nés de l’exécution d’un service public…
Qu’au mépris de cette règle de compétence, les juges d’appel se sont arrogés le pouvoir d’annuler une décision d’attribution d’un titre provisoire de concession rurale du préfet de Kati. Que le fait pour l’arrêt d’avoir dans son dispositif employé le mot demande au lieu de décision n°1343 ne change en rien à l’immixtion de la juridiction judiciaire à celle de l’ordre administratif, s’agissant d’une décision accordant un titre provisoire de concession rurale, le juge judicaire ne pouvant apprécier la légalité d’un acte administratif.
Qu’il échet dès lors d’accueillir le moyen tiré de la violation des règles de compétence et casser l’arrêt sans renvoi.
Attendu que les défendeurs qui ont reçu notification du mémoire ampliatif y ont répliqué en concluant au rejet du pourvoi.
III Analyse des moyens :
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt infirmatif n°833 du 23 octobre 2014 de la Cour d’Appel de Bamako la violation de l’article 169 du Code Domanial Foncier, de l’article 171 nouveau de la loi n°001 du 10 janvier 2012 portant modification de l’ordonnance n°00-27-P-RM du 22 mars 2000 portant Code Domanial et Foncier, modifiée et ratifiée par loi n°02-008 du 12 février 2012 et des règles de compétence d’attribution.
Attendu que ces trois branches du moyen unique de cassation tiré de la violation de la loi seront analysées ensemble.
*Sur la première branche du moyen tiré de la violation de l’article 169 du Code Domanial et Foncier :
Cette première branche du moyen fait grief à l’arrêt infirmatif querellé d’avoir ignoré les droits des demandeurs qui sont titulaires d’un titre foncier sur la parcelle litigieuse au profit des défendeurs qui ne détiennent aucun titre et d’avoir procédé à l’annulation de l’acte de cession du titre foncier n°48680, alors que l’article 169 du Code Domanial et Foncier dispose que « le titre foncier est définitif et inattaquable. Il constitue devant les juridictions maliennes le point de départ unique de tous droits réels existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation ».
Attendu en effet qu’il est établi dans le cas d’espèce, que les demandeurs sont détenteurs d’un Titre Foncier sur la parcelle dont la propriété est revendiquée par les défendeurs qui ne détiennent eux, d’aucun Titre ; que c’est donc à tort que l’arrêt infirmatif querellé a annulé l’acte administratif de cession n°11-0737/MLAFU-DNDC du 19 mai 2011 portant cession du Titre Foncier n°48680 à A., ainsi que la demande n°1343/CKTI-DOM accordant le Titre Provisoire.
Qu’en décidant ainsi qu’ils l’ont fait, les juges d’appel ont violé l’article 169 du Code Domanial et Foncier qui dispose que « Le Titre Foncier est définitif et inattaquable. Il constitue devant les juridictions maliennes, le point de départ unique de tous droits réels existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation… ».
D’où il suit que cette première branche du moyen est pertinent et sera accueillie
*Sur la deuxième branche du moyen tiré de la violation de l’article 171 nouveau de la loi n°001 du 10 janvier 2012 :
Cette deuxième branche du moyen fait grief à l’arrêt recherché la violation de l’article 171 nouveau de la loi n°001 du 10 janvier 2012 qui dispose :
« Les personnes dont les droits auraient été lésés par suite d’une immatriculation, ne peuvent se pourvoir par voie d’action réelle, mais seulement en cas de dol par voie d’action personnelle en indemnité contre les auteurs présumés du dol … A l’exception de l’action personnelle ci- dessus indiquée, aucun droit conféré par un permis d’occuper, une concession rurale ou une lettre d’attribution n’est opposable à un titre foncier » ;
Attendu en effet qu’en disposant dans leur arrêt que sur l’annulation, il est à noter que c’est depuis le 30 octobre 1978 que B.N. a cédé la parcelle à C. ; que ce dernier a eu sa lettre d’attribution le 16 mai 1979 ; que c’est après cette acquisition que le Titre Provisoire a été créé au nom de A. en 2008 ; que selon la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre le Titre Provisoire au nom de A. n’a pas été enregistré au registre foncier ; que par rapport à cet état de fait, le titre de M. a été créé en fraude du droit de C., le premier attributaire dont le droit n’a pas été annulé, les juges d’appel ont procédé par violation de l’article 171 nouveau susvisé, motif pris qu’aucun permis d’occuper, aucune concession rurale ou lettre d’attribution n’est opposable au Titre Foncier
Qu’il en résulte donc que cette seconde branche du moyen est également fondée et sera accueillie.
*Sur la troisième branche du moyen tiré de la violation des règles de compétence d’attribution : articles 7 et 8 de la loi n°94-006-AN-RM du 18 mars 1994 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs :
Par cette dernière branche du moyen, le pourvoi fait grief à l’arrêt de la Cour d’Appel d’avoir apprécié la légalité d’un acte administratif (en l’occurrence la décision d’attribution du titre provisoire de concession rurale du préfet de Kati) qui relèverait de la compétence des seules juridictions de l’ordre administratif.
Mais attendu que l’article 42, 1er nouveau du Code Domanial et Foncier de la loi n°2012-001 du 10 janvier 2012 portant modification de l’ordonnance n°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant Code Domanial et Foncier modifiée et ratifiée par la loi n°02-008 du 12 février 2002 dispose que : « le contentieux relatif à la cession des titres fonciers de l’état est soumis exclusivement à la compétence des tribunaux judiciaires. Les juridictions administratives ne sont pas compétentes pour connaitre de ce contentieux même lorsque le contrat de cession est dressé en la forme d’un acte administratif de cession. »
Que dès lors, les juridictions judiciaires sont donc compétentes pour connaitre de ce contentieux.
D’où il suit que le moyen est injustifié et ne doit être accueilli.
…Casse et annule l’arrêt déféré ;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako autrement composée ;…
Source: Mali, Cour suprême, 15 février 2016, 42 (juricaf.org)
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