Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maiga dessine l’avenir de son pays, présentant les progrès et les défis surmontés, chaque jour, par un peuple résilient face aux sanctions de la CEDEAO et aux préoccupations sécuritaires dans cette interview exclusive accompagné au journal gabonais ‘’ Ceux Qui Font L’Afrique’’
Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga, qui tient les rênes du gouvernement malien depuis le 11juin 2021, lance dans cette interview qu’il nous a accordée, un appel au sursaut, à la cohésion, à l’unité nationale pour relever les défis multiples et complexes que le Mali connait. Le descendant d’une longue lignée de chefs traditionnels et politiques qui remonte à Soni Ali Ber, le fondateur de l’Empire Songhai, assure que la peur a changé de camp.
Ceux qui font l’Afrique : Vous êtes né en 1958 à Tabango dans la région de Gao, Choguel Kokalla Maïga, aujourd’hui Premier ministre du Mali, dans un contexte historique particulier. Quels sont les grands moments de votre parcours de Gao jusqu’à la Primature ?
Choguel Kokalla Maïga : Je suis
né effectivement en 1958 à Tabango, dans le cercle d’Ansongo. J’ai fait mes études primaires à Bara (1963 à 1974), toujours dans le cercle d’Ansongo et mes études secondaires au Lycée technique de Bamako, où je sors major de ma promotion en série ‘’ Mathématiques Techniques et Industrielles » (M’TI) au baccalauréat technique industrie, en 1977. J’ai obtenu une bourse pour poursuivre mes études supérieures à l’Institut des Télécommunications de Moscou (en ex-URSS). En 1987 l’ai soutenu ma thèse de Doctorat d’Etat en télécommunications avant de rentrer en 1988 au Mali et de mettre mon savoir au service de mon pays. J’ai été admis au concours d’entrée à la Fonction Publique et j’ai commencé la vie active au sein de la Société des Télécommunications du Mali (SOTELMA) où j’ai occupé entre 1990 et 2002, différentes fonctions techniques hautement stratégiques.
Ceux qui font l’Afrique : Comment se porte le Mali au plan politique, économique, sécuritaire et même diplomatique entre autres, trois ans après le coup d’état qui a conduit l’armée à la tête du pays ?
Sur el plan politique, nous sommes dans une transition. Après la rectification de la transition et la tenue des Assises Nationales de la Refondation (ANR), nous avons élaboré conformément à l’une de
ses recommandations, une nouvelle Constitution. La 4ème République est donc née à partir du 2 juillet 2023 date de la promulgation.
Les réformes politiques et institutionnelles sont en cours. L’Organe Unique de Gestion des élections (AIGE) est désormais une réalité. La nouvelle Loi électorale a été promulguée.
Sur le plan économique, le pays a été victime de sanctions illégales, illégitimes, inhumaines de l’UEMOA et de la CEDEAO, privé de financement extérieur. Cependant la gestion vertueuse des ressources publiques et la résilience de la population ont permis au pays de tenir. Sur el plan sécuritaire, des investissements énormes ont été consentis au profit desFAMa, notamment en termes d’équipement et de renforcement de capacités. Les forces aériennes ont été rétablies, ce qui a conduit à la montée en puissance indéniable des FAMa. Le retrait des forces françaises Barkhane, et de la MINUSMA en cours ont entrainé des remous sécuritaires entretenus par qui nous savons. Mais à ce jour, les FAMA poursuivent leur progression sur l’ensemble du territoire national. On peut affirmer aujourd’hui sans risque de se tromper que la peur a changé de camp.
Sur la plan diplomatique, mon intervention à la tribune des Nations-Unies, le 25 septembre 2021, aura été le déclic de la diplomatie offensive malienne.
Depuis ce jour our, le Mali n’a cessé de dénoncer le colonialisme et particulièrement la France. Les arguments à géométrie favorable mis en avant comme les questions de démocratie ou de droits de l’homme ne sont que des prétextes pour continuer à pérenniser leurs dominations. Aujourd’hui au Mali, trois (3) principes régissent nos relations avec le monde à savoir : le respect de la souveraineté du Mali : le respect des choix stratégiques et des partenaires du Mali et la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien.
Alors que la mise en œuvre de l’accord de paix est au point mort, la rétrocession à l’armée malienne des camps de la Minusma, en particulier à Ber, fait courir le risque d’une reprise des hostilités entre les groupes indépendantistes et Bamako.
Quelle est votre lecture de la situation ?
Le Mali reste disposé pour une application intelligente de l’Accord tout en préservant l’intégrité du territoire, sa souveraineté, la forme républicaine et laïque de l’Etat et le caractère unique de l’Etat. Maintenant que les mouvements
signataires ont décidé de sortir du comité de suivi, nous prenons acte. S’agissant du retrait de la
MUNISMA, est convenu entre les Nations-Unies et l’Etat du Mali que les emprises de la MUNISMA seront rétrocédées à l’Etat du Mali. Nous ne permettrons à aucune force de s’opposer à cela. Le Mali ne renoncera pas à Kidal, partie intégrante du territoire national et épicentre de tous les complots contre le pays.
Nous, nous avons toujours demandé la paix et notre main reste encore tendue. Mais quand on vient nous agresser, nous tuer dans cette quête de paix, on ne peut pas s’asseoir, regarder et laisser faire. Quand les gens viennent dans les médias pour dire que le gouvernement doit aller vers la paix; ej réponds que el gouvernement n’a jamais refusé la paix. Et aujourd’hui encore nos mains restent tendues pour rechercher la paix. Mais, on ne va pas nous donner encore en spectacle pendant 30
ans à un petit groupe de terroristes qui nous dit que c’est pour développer le Nord du Mali qu’il se bat.
L’ANICT (Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales) qui est la banque de développement de toutes les communes et collectivités du Mali, a été dirigée par un ressortissant du Nord, et ce pendant plus d’une
décennie. L’Agence de Développement du Nord du
Mali (ADNM), est aussi dirigée par un ressortissant du Nord, depuis plus de 20 ans. En 2006, sous feu Amadou Toumani Touré, le Mali a organisé un forum sur le développement de Kidal, à l’issue duquel cinq cents milliards (500milliards) ont été annoncés, mais, on n’a pas pu investir à cause de l’insécurité. Tout ce que vous investissez, il y a des terroristes qui v i e n n e n tcasser : ils volent les véhicules, ils brûlent les maisons. Mais, on ne peut pas faire le développement dans ces conditions. Quand le Mali veut bâtir des routes, les rebelles tuent les travailleurs, brûlent les engins. Ce sont ces mêmes personnes qui sont reçues à Bamako pour recevoir des valises d’argent. Nous mettrons fin à cette pratique malsaine. Il faut qu’on respecte la forme républicaine et laïque de l’Etat. Nous avons dit qu’en dehors des quatre exigences majeures (unité nationale, intégrité du territoire, autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, la forme républicaine et laïque de l’Etat), tout le reste peut se discuter entre nous Maliens, et rien ne vaut un accordde paix. Mais cela fait combien d’années que nous sommes en train de courir derrière la paix ?
Monsieur le Premier ministre, qu’est-ce que la présence des troupes de Wagner a changé en matière de sécurité au Mali ?
Une certaine presse parle toujours de Wagner au Mali. Nous, nous avons le partenariat avec la Fédération de Russie qui organise à l’interne sa coopération avec le Mali comme elle veut.
L’histoire du monde de ces dernières années a montré que m ê m e les armées les plus puissantes ont du mal à venir à bout des troupes armées.
Pensez-vous que le retour à la normal dans le nord du Mali s’imposera par les armes ?
Choguel Kokalla Maïga : nous n’allons pas céder. Je le dis aux Maliens. Nous allons recouvrer notre honneur et notre dignité. Toutes les bases occupées par les forces internationales, nous allons les occuper. Il reste Anéfis, Aguel’hoc et Kidal, nous allons les occuper, in cha Allah (ndlr Si Dieu le veut). Venir tuer des Maliens au centre du pays
entier, qui nous appartient, tous les débats peuvent se faire. Mais avant, penser à ces hommes qui sont dans la poussière, sous le soleil, sous le vent, certains ne mangent même pas, loin de leurs familles; ce sont eux que nous devons soutenir. Parce que, c’est avec ceux-là qu’on va recouvrer notre dignité et « Horonya » comme on le dit en bambara. Nous sommes de ceux qui sont convaincus que la lutte contre le terrorisme est une lutte de longue haleine. Nous sommes également convaincus que la lutte contre le terrorisme n’est pas qu’une question militaire. Cependant pour venir à bout du fléau, vous conviendrez avec nous qu’il faut que la souveraineté de l’Etat s’exerce sur l’ensemble du territoire. C’est ainsi que les services sociaux de base (santé, éducation, hydraulique) pourront être assurés; toute chose qui constitue par ailleurs le terreau du terrorisme.
La Charte du Liptako-Gourma signée entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger et qui a créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES) n’a-t-elle pas une arrière-pensée panafricaniste ?
Il est heureux aujourd’hui que ces trois pays (Mali, Burkina et le Niger) ont compris que leurs destins sont liés. Panafricanisme ou pas, force est de reconnaitre que les peuples se sont réveillés. Cette prise de conscience se trouve ainsi être concrétisée par l’alliance signée par les 3 leaders. C’est d’ailleurs ce qui est attendu des organisations comme la CEDEAO que nous souhaitons être une CEDEAO des peuples et non celle des dirigeants.
Quels sont les véritables défis des autorités Maliennes avant l’organisation des élections démocratiques ?
Parmi les motivations qui ont nourri l’insurrection populaire qui a balayé le régime défunt, se trouvent les problèmes politiques et institutionnels ; c ‘ e s t d’ailleurs à la suite des élections mal organisées, voire truquées que la goutte d’eau a débordé le vase et justifie l’insurrection du M5-RFP du 5 juin au 18 août 2020. Dès lors, au lendemain du 18 août 2020, quand les Maliens se sont retrouvés au cours des
Assises Nationales de la Refondation (ANR), des recommandations fortes ont été formulées parmi lesquelles les réformes institutionnelles
et politiques permettant non seulement d’organiser des élections justes et équitables mais aussi de réduire les risques de contestations
postélectorales. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’élaboration d’une nouvelle Toi électorale et surtout la création de l’Autorité Indépendante de Gestion des Elections (AIGE). Le leger report des élections intervenues répond à ce souci d’organisation d’une élection inclusive, juste et apaisée.
Les Maliens ont approuvé à 97 % le nouveau projet de Constitution, qui doit permettre à certains de ses membres de se présenter à la prochaine présidentielle.
N’y a-t-il pas là une volonté des autoritésde la Transition de rester au pouvoir ?
Aucune intention de s’éterniser au pouvoir. L’élaboration de la nouvelle Constitution est une des recommandations fortes des Assises 15 Nationales de la refondation (ANR). Le peuple a voté le 18 juin 2023 la nouvelle Constitution et le président de la Transition l’a promulgué le 2 juillet 2023.
Comment percevez-vous l’avenir du Mali aprèsl a Transition ?
Toute la mission des autorités de la transition se résume à un seul mot : Refondation. Certes la transition n’achèvera pas le processus de refondation, mais s’emploie à poser les jalons de la refondation totale d’un Mali stable, fort, prospère et envié. Il en sera ainsi plaise à Dieu.
Monsieur le Premier ministre, nous avons probablement éludé des questions qui vous tiennent à cœur. Avez-vous un mot de fin ?
C’est un appel au sursaut, à la cohésion, à l’unité nationale pour relever les défis multiples et complexes. C’est possible. Nos prières et nos soutiens doivent aller aux forces armées et de sécurité et aux chefs militaires qui sont en train de nous restituer notre honneur et notre dignité. Tout el reste n’est que palabre inutile. Lorsqu’on a tué des centaines de Maliens à Tombouctou, à Bamba, à Gao, à Gourma Rharous, qui a entendu la communauté internationale condamner ? Personne ? Oui a entendu les organisations des droits de l’homme dire que les droits ont été violés ? Personne ? Les Maliens doivent comprendre que notre destin est entre nos mains. Levons-nous et soutenons notre armée. Dans l’histoire de l’humanité, aucun peuple n’a recouvré as liberté sans sacrifice. La paix n’a pas de prix, mais elle a un coût. Et ce coût-là, le peuple malien le paie déjà. C’est un coût humain, matériel et financier que le Mali est prêt à payer.
Ce à quoi je voulais appeler avant de terminer, c’est qu’il faut tout faire pour éviter les stigmatisations et amalgames. Pour vous donner un exemple en 2012 lorsque les terroristes ont assassiné les vaillants soldats maliens à Aguelhok, ceux qui sont de peau blanche les arabes et les Touaregs), ont été égorgés, ils les ont éventrés. Mais ils ont fait cela pour terroriser les Maliens et leur dire vous ne devez pas être attachés à l’État malien. Donc aujourd’hui, nous avons le devoir de protéger nos frères qui ont la peau blanche. Si vous voyez quelqu’un qui veut faire l’amalgame, c’est lui l’ennemi du Mali. Nous ne sommes pas naïfs. La deuxième chose, il faut soutenir sans limite, sans condition et de façon forte nos forces armées et de sécurité. Les hommes de troupes qui sont sur le terrain, les officiers qui commandent les troupes ont besoin de sentir que le peuple vibre à leur diapason. Qu’ils ne vont pas mourir pour rien. Celui qui meurt pour le pays, il n’est pas mort pour rien. Il a donné sa vie pour une cause juste et on se rappellera de lui. Enfin, il faut faire des bénédictions pour le gouvernement. Que partout deux attitudes dominent l’action gouvernementale : la détermination sans faille pour libérer le Mali et la sagesse pour reconnaître là où on a commis des erreurs. Si nous avons ces deux armes en main, rien ne va nous arriver. Et Dieu et le peuple sont avec le gouvernement de transition, c’est pourquoi j’ai l’habitude de dire que tous ceux qui se mettront contre la transition, Dieu ne leur donnera
pas son quitus. Ils vont échouer.
Diango COULIBALY, Correspondant du journal Gabonnais ‘’ Ceux Qui font l’Afrique ‘’