Le lait étant un aliment complet, la filière lait local doit être mieux protégée et entretenu dans les pays du Sahel où l’élevage des vaches constitue l’une des activités prioritaires. Il se trouve que la vraie valeur du lait local n’est toujours pas connue par les populations des pays du Sahel. Une des sources de cette ignorance serait la présence du lait en poudre importé de l’occident. Alors, l’on se pose la question suivante : cette présence du lait en poudre a-t-elle des influences sur la promotion du lait local ?
Des acteurs de la filière lait local du Mali, du Sénégal et du Burkina Faso tels que Adama Dembélé, éleveur producteur de lait au Mali, Secrétaire Général du FENALAIT ; Djibril SECK, responsable de la filière lait local à Kirène au Sénégal, et Nour Al Hayat Ouédraogo, le président de l’Interprofession de la filière lait du Burkina, se sont prononcés sur la question.
Sans hésiter, Adama Dembélé estime que oui, le lait en poudre a beaucoup d’influences sur la production du lait local au Mali. À l’en croire, quand tu importes un produit alors que le même produit est produit chez toi, il est automatiquement connu de tous que celui importé entre en concurrence avec le produit local, quelle que soit sa qualité. Le lait en poudre nuit sérieusement au développement de la filière lait local. ‘’En temps normal, si ce n’est pas par méconnaissance des clients par rapport à la qualité, il ne doit y avoir aucune concurrence entre le lait local et le lait en poudre’’, argumente M. Dembélé.
Faiblesse de la production du lait local
M. Dembélé martèle que la demande étant supérieure à l’offre, les consommateurs achètent le lait en poudre et se contentent avec, même si ce dernier n’a pas la même qualité que le lait localement produit. Selon lui, avec l’aide de l’Etat malien, une stratégie a été mise en place en 2008 au Mali. Cette stratégie consiste à l’amélioration des races et à la construction d’unités de transformation de lait. Mais, malheureusement, le seul regret pour M. Dembélé est que l’Etat malien n’a pas les moyens de sa politique. Ce qui fait que le lait en poudre continue de faire chemin. Avec les mesures incitatives de l’Etat pour l’amélioration génétique et la construction d’un centre d’insémination artificielle créé avec l’aide des projets d’appui, Adama Dembélé rassure que le lait local a de l’avenir au Mali.
Pour les trois intervenants, d’autres facteurs faisant que le lait en poudre fait encore chemin au détriment du lait local est que le lait en poudre est accessible partout en quantité et à tout prix (50F, 100F). Ce qui incite les consommateurs sans se soucier de la qualité. Aussi, le conditionnement, la transformation, le stockage, et la mise au marché sont des difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs du lait local dans pratiquement tous les pays du Sahel. Par exemple, Adama Dembélé du Mali témoigne qu’il y a des moments de l’année où sa coopérative de Kassela perd énormément de lait local. Pas parce qu’il y a suffisamment de lait au Mali, mais parce que le conditionnement n’est pas facile, et il y a beaucoup trop de mévente due à la méconnaissance des consommateurs par rapport à l’accès et aux avantages du lait local.
Faute de législation claire sur la question du lait en poudre et du lait local
Djibril SECK, responsable filière lait local à Kirène au Sénégal, évoque qu’au-delà des aspects financiers, il n’y a jusque-là pas une bonne cohérence dans la politique laitière dans les différents pays du Sahel. Selon lui, il est grand temps qu’il y ait une législation claire sur la question aux yeux des consommateurs. Et de montrer la vraie différence entre le lait en poudre ne contenant pas d’aliment complet, et le lait local qui est un aliment complet (le lait en poudre est dépourvu de graisse et est ré-engraissé par la matière grasse végétale, alors que le lait local est un aliment complet), expliquera-t-il.
Les marchés sahéliens inondés du lait en poudre
Nour Al Hayat Ouédraogo, le président de l’Interprofession de la filière lait du Burkina, avec un sourire désolant, dit de faire, ne serait-ce qu’un tour dans les boutiques pour se rendre compte de l’influence négative du lait en poudre sur la promotion du lait local. ‘’Nous sommes carrément inondés par la poudre blanche, pardon le lait en poudre. Poudre blanche car le lait en poudre n’a pas les mêmes valeurs nutritives que le lait local’’, dit-il.
À la lecture des différentes interventions, il est plus que jamais nécessaire que les gouvernements et grands producteurs s’impliquent davantage sur la question de la promotion du lait local pour mieux organiser la chaîne de valeurs, afin d’instaurer une production de qualité et de quantité.
Les avancées notoires pour la promotion du lait local
Malgré les difficultés, il s’avère que beaucoup d’avancées ont été faites pour la mise en valeur et la promotion du lait local dans les pays du Sahel. Des campagnes sensibilisatrices ont été faites auprès des populations avec l’aide des ONG comme OXFAM au Sénégal et au Burkina Faso, la FENALAIT et ses ONG partenaires au Mali. Même s’il y a encore des efforts à faire pour que le lait local puisse faire librement son chemin au grand bonheur des consommateurs, l’espoir est permis.
Au Mali une unité de transformation de lait local est en cours par l’Etat malien à Dialakorobougou. Au Burkina, on se réjouit des actions de sensibilisation à travers des passages à la télé, montées sur des scènes publiques et l’élaboration d’un guide de bonne conduite sur la différenciation du lait en poudre du lait local, ainsi que des séances de dégustation à l’endroit de la population.
Istra Nabi